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jeudi 10 mai 2012

Pourquoi une élection politique peut-elle être si émouvante ?

 Dimanche, je n'osais pas y croire, alors je me suis appliqué, comme si de mon soin, allait dépendre le soin de soixante millions d'électeurs : j'ai pris les deux bulletins, puis l'enveloppe, j'ai bien refermé le rideau de l'isoloir, mis mon bulletin dans l'enveloppe, rangé l'autre dans mon portefeuille, tout ça pour faire comme tout le monde, comme si mon vote était un secret de la plus haute importance et que je ne m'accordais même pas le droit d'en sourire.
  Puis je suis allé travailler. L'après-midi, je me suis fait la réflexion que ça faisait 24 ans. Je me suis dit que nous avons connu 19 années d'ultra-libéralisme, avec un intermède sympa, mais qui laissa un goût d'inachevé, de fragile, avant que reprenne un règne de privilèges aux privilégiés et de démantèlement des salaires, qui connut ses sommets au tout début et à la toute fin ainsi que l'envolée — sous prétexte de la juguler — de la dette. Je n'en dirai pas plus, il y en a de plus compétents, voir la courbe (notons quand même que c'est sous les affidés du Medev, Balladur et Sarkozy, qu'elle connut ses plus belles accélérations).
 Dans mon entreprise, la joie se faisait discrète. Ici, on n'affiche plus ses convictions — Peur du cynisme ? Frilosité de la jeunesse qui se méfie du politique ? Au soir, devant ma télé, j'ai un petit peu pleuré. Ô pas de grandes eaux larmoyantes, ce n'est pas la Révolution, ni la Lutte finale, ni les Lendemains qui chantent, je n'y ai jamais beaucoup cru, et moins aujourd'hui qu'hier, je n'attends nulle revanche sociale, nul règlement de compte, nulle utopie faite réalité. J'espère peut-être un peu moins d'injustice, un peu plus de bon sens, et une société qui ait envie d'aller de l'avant... Mais n'y ayant participé que par un bulletin de vote, je me sens étranger à cette Publica Res, qui me passionne sans que je n'ai éprouvé le besoin de m'y engager, méfiance des partis, des militants brutaux, des luttes de pouvoir internes, des lobbys qui viennent négocier dans les allées du pouvoir leurs petits avantages, pourtant on ne m'enlèvera pas de la tête que cette politique à laquelle je ne participe qu'épisodiquement, est importante.
 Et puis je me suis souvenu, non pas de 1988, dont il ne me reste rien, mais de 1981. La veille, le 9 mai, je confiai à un ami que la politique me semblait incapable de m'enthousiasmer et le 10 mai, ce fut l'embrasement. Je me souviens de la figure entrevue en sautant par dessus la foule, le jour du Panthéon, et ce visage — aperçu derrière une vitre de voiture — j'ai toujours imaginé que c'était le nouveau président. Un vieux monsieur, bien propre sur lui, avec un imperméable impeccablement plié sur le bras, car il faisait orageux ce soir-là, me demanda poliment « s'il » était passé. Puis, dans la foule qui se pressait vers le Panthéon, je butai sur une chaîne de C.R.S. se tenant par les coudes, et un badaud allant parler à l'un d'eux et disant : « Vous savez, je suis venu pour le voir. » et le C.R.S. tendu par l'effort de tenir la chaîne de lui répondre : « Pourquoi vous croyez que je suis là ? »
 Je me souviens aussi du 11 mai, je passai le concours de l'école des Mines, et, pendant l'épreuve de français, au milieu de la dissertation qui n'était qu'un ramassis de ce que nous avaient rabâché les profs, d'une idée qui m'est venue, une idée jamais émise, qui est devenue un développement qui s'est conjugué sous forme de paragraphes... J'ai eu l'oral des Mines, ce qui était un exploit à mon échelle, et malgré mes mauvaises notes en maths à l'oral, manqué de peu d'intégrer une école des Mines tellement ma note en français m'avait propulsé à des hauteurs dont personne ne me soupçonnait capable, moi le premier... 
 Alors, oui, aujourd'hui, sans illusion, ému et étonné de l'être...

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