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jeudi 12 septembre 2013

Honneurs, avantages, mérite...


Bon, c'est peut-être lourd, peut-être que ça manque d'humour, mais ça me travaille et j'avais envie de faire le point, pour moi, entre ce que je sais et ce qu'on peut dire sur ces questions, qui se révèlent moins anodines et moins vieillottes que je ne le craignais... Mais ça n'est ni amusant ni léger... et je m'en excuse par avance.
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Il y a le mot, son sens concret et son sens métaphorique. Pour l'honneur concret, il est d'usage d'en parler plutôt au pluriel, les honneurs, car, qui entre dans une quête de reconnaissance, rêve de conquérir des honneurs...
(sans jeu de mot, quoique, justement, on voit que les deux notions s'opposent : la soif d'honneurs n'est pas très honorable, pourtant la société fonctionne comme une course aux honneurs)
 Les honneurs, c'est bien connu, n'ont rien à voir avec l'Honneur. Notre société regorge de Cumulateurs d'honneurs, et dont l'analyse biographique peine à voir ce qu'il y a bien pu y avoir d'honorable. C'est sans doute un des indicateurs les plus fiables de sa déliquessence, que de compter les médailles distribuées chaque année... A commencer par la plus célèbre d'entre elles, la Légion d'Honneur qui compte parmi ses officiers, entre autres, un dirigeant de société responsable de plus de vingt-trois suicides, ou un homme de confiance de milliardaire véreux, récompensé comme « membre du Premier cercle et collecteur de fonds légaux pour » un parti politique. Qu'ont d'honorable ce meurtrier et ce prévaricateur ?
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Les honneurs, c'est bien agréable, sans doute, mais au fond, on s'en passe. Se faire à l'idée qu'ils n'ont aucune importance, est même plutôt libérateur. Comme disait Gandhi, « Quoi que vous ferez, ce sera insignifiant, mais il est très important que vous le fassiez. » Examiner les notions d'honneur à l'aune du bouddhisme peut-être très éclairant. L'honneur y est insignifiance, perte de sens, et au final, synonyme de souffrance : si vous avez des honneurs, vous êtes malheureux, car vous n'en aurez jamais assez, et si vous n'en avez pas, vous souffrez également... Les honneurs, c'est un boulet dont aucun bouddhiste ne voudra. Derrière Gandhi se dessine la stature, le fil qui a guidé sa vie...
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 Du point de vue de la société, dès qu'on aspire à sortir de sa condition, il est légitime de vouloir conquérir des honneurs. Un prix littéraire, par exemple, est un honneur concret, subjectif (relié à un jury), mais, une fois obtenu, nul ne peut le dénier, il acquiert une sorte de valeur absolue, indépendante de l'objet d'origine en fait, et cet honneur matériel a déjà un parfum immatériel... De l'honneur ? Dans un sens, peut-être...
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 L'honneur matériel est une marque de reconnaissance sociale, et la reconnaissance passera donc par une mesure des honneurs conquis durant une vie  : un chercheur peut espérer le prix Nobel, mais avant, il espère des publications, et les organismes les notent en enregistrant le nombre de publications de chacun... La vie sociale d'une personne pourra être alors mesurée par les honneurs qu'il aura conquis.
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A parte : je fais le lapsus permanent entre conquis et acquis : car, si votre clan social possède de l'argent, des relations, de l'entregent, il saura faire en sorte de vous ACQUÉRIR des honneurs : apparemment déshonorant, sauf quand tout le monde l'accepte « de facto » comme si c'était méritant... Les classes dirigeantes se consacrent à déjouer les problématiques de l'honneur : dès lors que vous acceptez le jeu social, c'est important : en consacrant leur argent et leur pouvoir à le pervertir, l'honneur est porté au pinacle.
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 Pourtant, on sait qu'être honorable... n'est pas une question matérielle, justement.
Ce qui rend honorable, pousserait plutôt à la modestie : « Je sais que je suis honorable, et le besoin de le prouver, humain, n'est guère honorable... » Mais l'honneur est extérieur à soi, c'est une valeur, une sorte d'absolu prôné par l'ancienne noblesse, une loyauté à une conception du monde : l'honneur serait de ne jamais renoncer à ses / à l'unique valeur, celle qui a été placée au-dessus de tout. Le beau roman de Daphné du Maurier,  « Le Général du roi » en donne une définition très précise : le général, en plein  guerre civile à l'époque de Cromwell, défend le parti minoritaire du roi, quel que soient les défauts de celui-ci (et il en a, à commencer par la médiocrité), et jusqu'à sacrifier son propre fils, parce que la conduite de celui-ci a été déshonorante vis-à-vis de la royauté... Avant cela, la conduite du général est incompréhensible, elle semble manquer de cohérence, de droiture, jusqu'à ce que nous soit donné la clef du personnage : une conception, déjà ancienne à vrai dire, étroite de l'honneur, attachée à la personne royale. Evidemment, le général se fout royalement des honneurs, le seul autre espoir de sa vie tient dans l'amour de celle qu'il aime...
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Un bon coach, au football, par exemple, n'hésite pas à mettre sur la touche une de ses vedettes parce qu'il sait qu'elle n'est pas au meilleur de sa capacité (mais si, je t'aime bien Karim !), et donnera sa chance à quelqu'un d'autre. Il peut se tromper, c'est tout à son honneur, de commettre des erreurs et de ne pas s'en cacher.
Mais alors pas de quoi s'étonner si celui à qui une chance a été donné, s'attache à rendre de l'honneur à celui qui lui a accordé une chance, alors il y a augmentation réciproque. Il y a une valeur d'échange de l'honneur, et il y a de l'honneur dans une conception altruiste de l'homme. L'honneur se construit entre autres dans la RÉCRIPROCITÉ.
 A l'opposé, un grand joueur couvert d'honneurs, donc, est de moins en moins méritant au fur et à mesure qu'il vieillit. Pour un Zidane, cela fut beau. Pour Thierry Henry, son incapacité à se passer d'honneurs aboutit à un but commis sur une faute de main honteuse : déshonneur qu'il n'aura peut-être pas assez de toute une vie pour expier : on voit bien que la notion d'honneur, alors, n'est ni vieillotte ni surannée : posez la question aux supporters et vous verrez ! :-)

Et puis il y a le mérite. Curieusement, le mérite a tout l'air d'une aspiration à de la reconnaissance et il ne semble pourtant pas pressé d'en recevoir. Le mérite est une valeur intime, personnelle : devant son miroir, nul ne peut se mentir.
 Le mérite tend immédiatement vers l'examen de conscience. Nul besoin d'une récompense pour savoir le mérite acquis. Le mérite appelle la modestie. Ainsi, Bernard Hinault résume sa carrière à un fémur plus long d'un centimètre que la moyenne, ce qui n'est pas faux, mais qui est très insuffisant pour dire le vrai. Au moins, c'est drôle et c'est un désir de modestie. On peut n'être en rien responsable de son mérite, s'il a été donné par la vie. Ce mérite qui n'en est pas un, est alors un avantage. Et davantage d'avantages...
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Le mérite doit être séparé entre avantage, et mérite acquis : « être méritant ». Personne n'est responsable de sa grande taille ou de sa beauté, mais ça donne plein d'avantages sociaux, de la reconnaissance, parfois des honneurs... mais pas d'honneur en soi.
Produire un travail, une œuvre, une production de l'esprit est une participation à la vie d'une société qui produit du mérite. Mais on vit confortablement (intellectuellement parlant) en se sachant méritant, mais dénué d'honneur, de reconnaissance. Cela suppose de dominer la soif d'honneurs... et ça produit du bonheur.
 Bien sûr, tout se mélange : Scarlett Johansonn a des avantages (et les a peut-être améliorés par acquisition, hypothèse facétieuse :-), elle a acquis un mérite incontestable au travers des films dont elle a été l'interprète, elle a donné de l'Honneur à des cinéastes et elle a déja reçu beaucoup d'honneurs dans sa vie...
 Vous remarquerez que la question de l'honneur est INDÉCIDABLE : qui est capable de dire si Scarlett Johansonn est femme d'honneur ? Personne. C'est ce que nous saurons de sa vie, plus tard, qui permettra de le supposer. Et encore, on peut faire des découvertes qui renversent une réputation... Par contre, de manière implicite, le cumul avantages, mérites, honneurs, crée une aura HONORABLE, autour de sa personne. Ceux qui lui rendent hommage lui accordent en quelque sorte un crédit d'honorabilité.
 A l'opposé, un Arnaud Lagardère qui brade aux caméras sa vie privée, tout en liquidant tranquillement l'empire de Papa (il n'aura pas assez de trois vies pour le faire, pourquoi s'en priverait-il ?), industriel qui se désengage de l'aviation parce qu'il ne croit pas à l'Airbus A380 (gag), qui fait de l'édition parce qu'il s'en moque, a un crédit d'honorabilité proportionnel à la fortune de Papa, et pour ce qu'on en sait : peu de mérite, et un truc curieux : la mise en scène provocante de sa vie amoureuse est plutôt considérée comme déshonorante. 
 L'honneur n'est pas mesurable, mais il implique de la pudeur... L'honneur, c'est un peu comme votre nom secret, il ne gagne pas forcément à être divulgué, c'est le pilier sur lequel peut se bâtir une vie, il peut être connu, ou su, mais il nous appartient, en ce sens qu'il ne peut pas être partagé, et sa divulgation, comme une pellicule argentique, exposée au soleil peut le voiler et le détruire...


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