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jeudi 27 février 2014

Tableau humide (Jaroslav Seifert)

   Ah, les belles journées
où la ville ressemble à un dé, à un éventail et à une chanson d'oiseau
     ou à un coquillage sur la plage
     — adieu, adieu, belles filles
     que nous avons rencontrées aujourd'hui
     et que nous ne reverrons jamais.
          -
     Ah ! les beaux dimanches
où la ville ressemble à une balle, à une carte et à un ocarina
     ou bien à une cloche qui se balance
     — dans la rue ensoleillée,
     les ombres des passants s'embrassaient
     et les gens s'en allaient étrangers, sans se connaître.
          -
     Ah ! les belles soirées
où la ville ressemble à une horloge, à un baiser et à une étoile
     ou bien à un tournesol qui tourne
     — au premier accord, 
     les danseurs ont agité les ailes des bras des jeunes filles
     comme les phalènes au premier nuage rougi par le soir.
          -
     Ah ! les belles nuits
où la ville ressemble à une rose, à un échiquier et à un violon
     ou bien à une jeune fille qui pleure
     — nous aimions à jouer aux dominos
aux dominos à points noirs avec de maigres jeunes filles au bar,
     regardant leurs genoux,
          -
     qui étaient décharnés
comme deux crânes portant la couronne soyeuse des jarretières
     dans le royaume désespéré de l'amour. 
                                                                   (Pigeon messager, 1929)
Jaroslav Seifert (1901-1986). Ne pensez que je sois un connaisseur de la poésie tchèque, ce très beau poème est issu d'un recueil de poésie tchèque, traduit en français, publié en 1930, et sans doute acheté par mon père, pendant son service militaire, en 1945, je suppose. Je découvre qu'il s'agit aussi du même poète qui reçut le prix nobel de littérature et je remercie mon père d'avoir cultivé sa propre curiosité, de nous avoir appris à regarder au-delà de notre horizon, vers des langues et des mœurs difficiles et d'avoir éduqué ses enfants en leur donnant le goût du monde et un cœur d'enfant.

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