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dimanche 14 décembre 2014

Discours d'Ursula K. LE GUIN à la National Book Foundation

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Le "National Book Foundation" a remis en 2014 une médaille à Ursula K. LE GUIN pour l'ensemble de son œuvre. À cette occasion, elle a tenu un discours à la fois fort et empreint de poésie que je vous livre ici, en anglais, et là,

en français :
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« À ceux qui m’ont donné cette belle récompense, mes remerciements du fond du cœur. Ma famille, mes agents, mes éditeurs savent que la raison de ma présence parmi vous tient aussi bien à eux qu’à moi-même, et que cette belle récompense est beaucoup plus leur récompense que la mienne. Et, en l’acceptant, je me réjouis de la partager avec ceux-là, écrivains exclus de la littérature depuis si longtemps — mes amis auteurs de Fantaisy et de Science-Fiction, écrivains de l’imaginaire qui, depuis cinquante ans, voient les plus belles récompenses aller vers les tenants d’un prétendu réalisme.
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Des temps difficiles s’annoncent alors même que nous en étions à espérer les écrivains qui penseront des alternatives à ce que nous vivons, qui percevront un au-delà à notre société repliée sur elle-même et sur ses technologies obsédantes, qui verront des voies de développement de l’être et qui imagineront des raisons réalistes d’espérer. Nous aurons la nécessite d’écrivains qui se souviennent de la force de la liberté — celle des poètes et des visionnaires —, celle des réalistes d'une réalité plus vaste.
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Nous avons besoin hic et nunc d’écrivains capables de séparer la production suivant les diktats du marché et la pratique d’un art. Développer les conditions matérielles de l’écriture, en vue de poursuivre une stratégie de vente, afin de maximiser les profits d’une entreprise et les revenus, n’est pas la même chose qu’être un éditeur responsable de ce qu’il édite ou un auteur développant une œuvre.
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Là, je vois le service des ventes perdre le contrôle au profit d’autres objectifs éditoriaux. Je vois mes propres éditeurs, saisis par une panique idiote, ignorance ou avidité ?, facturer à des bibliothèques un livre électronique six ou sept fois le prix qu’ils le facturent à un client. Nous avons vu un profiteur tenter de punir un publicitaire désobéissant, et des écrivains effrayés par une fatwah d’entreprise. Et je vois beaucoup d’entre nous, les producteurs, ceux qui écrivent les livres, qui les font vivre, accepter que des profiteurs, qui nous vendent de la même manière qu’ils vendent du déodorant, nous disent quoi publier et quoi écrire.
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Les livres ne sont ni des matières brutes, ni des marchandises ; les motivations du profit sont souvent en conflit avec les buts de l’art. Nous vivons sous le règne du capitalisme, son pouvoir semble tel qu’il tente de faire accroire qu’il est impossible de lui échapper, mais c’était ce que prétendaient les rois de droit divin. Tout pouvoir humain peut rencontrer une résistance, et être changé par des êtres humains. Résistance et changement commencent souvent par l’art. Le changement s'est souvent incarné dans notre art, l’art des mots.

J’ai eu une longue carrière en tant qu’écrivain : une belle et bonne vie, et en bonne compagnie. Ici, à la fin de celle-ci, je ne veux pas voir la littérature américaine trahie. Nous, qui vivons de l’écriture, de sa publication, voulons et devrions demander le partage équitable des profits ; mais le nom de notre belle récompense n’est pas le profit. Son nom est liberté. »

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