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lundi 29 décembre 2014

Sad Lisa (Cat Stevens)

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Quand j'avais seize ans, je suis parti en Allemagne avec ma classe de seconde, à Neuss, la ville jumelée avec Châlons-sur-Marne. Nous logions à l'auberge de jeunesse, le correspondant allemand de notre lycée nous accompagnait, c'était un gauchiste qui, lors d'une excursion sur le Rhin, nous avait indiqué le Bundesrat comme lieu idéal pour placer une bombe. Il avait de l'humour, il plaisait aux filles et ne déparait pas avec notre professeur, l'adorable Madame Wahl qui avait des opinions très à gauche elle aussi. Je me souviens qu'elle avait consacré le « 10% » à dresser l'état politique de l'Allemagne et la climat de répression qui y régnait suite à l'arrestation des membres de la bande à Baader, et à son assassinat en prison. (Pour les 10%, ça a disparu, j'en parlerai peut-être un jour...)
Pour moi, je traînais mes complexes, premier de classe assez détesté sans avoir rien fait (si, j'avais tout fait pour avoir de bonnes notes, à vrai dire) et je me souviens que, pour tromper l'ennui et démentir ma réputation, je me suis saoulé à la bière, Altbier, la bière de Düsseldorf, ce qui avait légèrement inquiété madame Wahl, qui n'en avait pas fait un fromage : ma première biture, comme on disait. Cette saoulerie a beaucoup fait pour rompre la glace, et je me suis fait beaucoup d'amis ce soir là, car, se saouler, c'est stupide, mais ça m'avait permis de revenir à un statut — rêvé — d'être normal... J'ai gardé beaucoup de respect pour les gens qui se savent se saouler, désormais (pas n'importe comment...).
 Une fille que je trouvais sympa et admirable, m'a traité un jour de « Pédé ». Je n'ai rien contre les homos, mais comme j'ai toujours rencontré d'insurmontables difficultés à affirmer une hétérosexualité, simple mais dont beaucoup doutaient, j'ai pris le taureau par les cornes, lui disant que pour ma part, je ne l'insultais pas et qu'il ne me serait jamais venu à l'idée de la traiter de « Gouine » et ça s'était arrêté là. Elle m'a respecté, parce que j'avais pris la parole.
 La nuit appartenait à l'Auberge de Jeunesse, die Jugendherberge, et aux conneries qu'on peut faire entre ados. Le jour, nous avions un correspondant, et, comme j'étais le premier de ma classe, j'avais hérité, ô bonheur, du dernier de la classe en français, un allemand, dont j'ai oublié le prénom, baba comme je rêvais de l'être : jeans élimé, armoire remplie de pantalons et de veste en jeans, tous élimés ! cheveux longs, moustache, je crois qu'il m'a regardé, un peu étonné de ce petit bonhomme étriqué et mal dans sa peau.
Ce qui a rompu la glace entre nous, c'est qu'il nous a emmenés, lui et ses amis allemands, dans un sorte de bar pour lycéens, où il y avait des jeux, jeux d'échecs notamment. Un de ses potes m'a proposé une partie. Je me piquais d'échecs à l'époque, j'ai dit oui, et nous avons positionné nos pièces. Trois coups plus tard, une manœuvre idiote, et je perdais une tour sur un coup classique, mais que je n'avais, par étourderie, pas vu. Ça a piqué mon orgueil, du coup, je me suis concentré, me suis réveillé et j'ai serré le jeu, récupéré l'avantage perdu, et déclenché une attaque de pions, je venais d'apprendre ça, chez moi, en bossant avec un manuel, et je l'ai battu à plate-coutures. Souvenir plus avouable que ma saoulerie avec cette délicieuse « Altbier » que l'on boit à Neuss/Düsseldorf, un Deutschmark le verre (vive l'Altbier !)
Mon correspondant a été très impressionné que je batte le — je cite — meilleur joueur qu'il connaissait. J'ai eu de la chance. Du coup, il m'a pris à la bonne. Le midi, il m'emmenait chez lui, il jouait de la guitare avec virtuosité, et il me faisait écouter, et découvrir,  Cat Stevens, dont il était fan, et fin connaisseur. Il jouait de la guitare et je crois me souvenir qu'il jouait parfaitement le solo de Sad Lisa et qu'il chantait la chanson impeccablement.
Je me souviens qu'il avait une guitare déglinguée : la caisse avait été cassée, suite à un accident, et quelqu'un, un luthier, la lui avait réparée, et il m'avait expliqué que, depuis, avec le morceau de bois rapiécé qui avait été intégré au corps, elle avait gagné un meilleur son et que c'était sa meilleure guitare. Il en avait trois, je crois. Un musicien... J'en garde un souvenir fasciné, un artiste, comme je rêvais, très secrétement, d'en devenir un, un jour;
 Sa maman m'avait pris à la bonne car j'étais un bon convive et j'aime la nourriture allemande. Je crois que ce qu'elle cuisinait était fort simple, mais je trouvais ça bon. Elle avait repéré que j'aimais les desserts, et, au bout de trois quatre jours, elle prit l'habitude de me garder une part du dessert de la veille au soir, en plus de celui du midi, et j'avais droit à deux desserts. Cette dame fort simple, n'était pas choquée du tout de l'allure bohême de son fils, avec qui elle vivait seule, et (moi qui n'avait que des déboires avec ma mère à la moindre micro-fantaisie et qui devait la défendre bec et ongles pendant trente jours, avant de passer un compromis) je la trouvais admirable, cette sympathique maman !
Depuis, j'ai acquis la conviction que l'Allemagne est un pays merveilleux avec des gens qui savent ce qu'est la musique... Sad Lisa. Et la bière allemande est la seule qui ne fait aucun mal à mon organisme ! Toutes les bières.

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