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jeudi 5 février 2015

Nouvelles de la constellation des Antennes

 Sur une planète fort lointaine, d'un soleil oublié de la constellation des Antennes règnent un roi et un esclave. Le premier est affligé de paranoïa, pas très aiguë, mais confirmée depuis le jour où ses sujets ont découvert, par un hasard malencontreux, et savoureux, un oukase de quatorze parchemins en précieuse peau de veau — oui, j'ai bien dit 14 — où le Roi décrivait les menées d'un de ses sujets, accusé de comploter ! L'esclave est issu des geôles de la Grande Muette. On lui a appris dès son plus jeune âge que le pouvoir, c'est la soumission. Plus il s'est soumis, plus il a conquis de grandes missions.
Le Roi et l'esclave font-ils bon ménage ? Une réponse réside  un roman de Dick,« LES CLANS DE LA LUNE ALPHANE » : une lune éloignée servant d'hôpital psychiatrique, isolée de la Terre durant vingt-cinq ans, que les héros découvrent et où les malades ont survécu :
« Il est parfaitement plausible que, en vingt-cinq ans, une société de malades mentaux ait fait de
nouvelles découvertes technologiques que nous pourrions utiliser, spécialement les paranoïaques, le groupe le plus actif. Ils sont très inventifs [...] Avec un être atteint de paranoïa aiguë, on peut s'attendre à une hostilité systématique ; loin d'être atténuée par le temps, elle devient au contraire encore plus élaborée. Le paranoïaque possède une nature analytique et calculatrice ; chacune de ses actions est parfaitement motivée, et le moindre de ses gestes participe à l'ensemble de son projet. [...]
Parce que, avec ces gens-là, les paranoïaques avancés, la guérison ou même une lucidité temporairement retrouvée est virtuellement impossible. Comme l'hébéphrène, le paranoïaque a trouvé une non-adaptation stable et permanente. Il est incapable d'empathie, incapable de se voir dans la situation d'une autre personne. En conséquence, pour lui, les autres n'existent pas vraiment — sauf en tant qu'objets animés qui affectent ou n'affectent pas son bien-être [...] et pour lui, l'amour n'est qu'une variante de la haîne. » . Le Roi s'admire parfois parfois dans ce miroir-là. Muré dans son bureau, il manœuvre à distance ses sujets et est servi à merveille par l'Esclave.
 Issu des rangs de la Grande Muette, l'Esclave s'est fait remarquer par le zêle extraordinaire qu'il déploie pour complaire à ses maîtres : aussi lui a-t-on donné rang de maître. De chacun de ses contremaîtres, il exige espionnage et rapports écrits. Son rêve : que plus personne ne bouge ! Si l'entité dont il a charge s'écroule sous l'effet du vide qu'il veut y imprimer, il n'en a cure, il ira écumer ailleurs quand il l'aura liquidée. Pour l'heure, il compresse, il harcèle, et en matière d'harcèlement, il est aussi inventif que le Roi, sauf que lui, l'Esclave, s'est réfugié dans une bulle de Déni, marque qu'à l'instar du Roi, il tente d'imprimer au Royaume.
 Le Roi lui a promis une pierre précieuse, pour chaque suppression d'un sujet. Affligé d'inaltérable inculture, il ne voit pas le mal de servir avec zêle le Roi, plutôt que de se comporter en homme libre : « La liberté n'est pas de mon ressort », prétend-il.
 Or, dans ce milieu, la grande majorité des gens ordinaires sont venus là par la Vocation : ils font ce qu'ils ont voulu, et souvent, ils l'ont voulu contre vents et marées, contre leur famille, contre leurs amis, et parfois contre tout bon sens : librement. Aimant leur activité, ils sont autonomes, ils n'ont pas vraiment besoin qu'on leur donne des ordres, il suffit de leur passer commande, et de voir le miracle de la commande devenir réelle — se réaliser — par simple amour du travail bien fait, les différences apprenant à se coordonner. Vous avez déjà vu une kermesse trois jours avant la première ? Vous souvenez-vous du chaos, des mouvements multiples, des paroles qui s'entrecroisent sans s'écouter ? Du moment final, où tous ne forment plus qu'un corps au service de la Fête donnée au Royaume ? Dans ce royaume, moins prestigieux, la même dynamique est à l'œuvre.
 Les seuls qui ne relèvent pas de la vocation, sont donc condamnés à pénétrer les arcanes du Royaume, en rêvant de la Cour, en bordure du fleuve capitalien, séjour merveilleux où l'on s'épanouit dans l'oisiveté, à la charge du Roi des Rois.
 D'où le paradoxe d'un Royaume où la Vocation ne cherche nulle ascension, et où l'incompétence et l'ennui propulsent à la tête du Royaume ses plus féroces adversaires. Il existe des esclaves qui n'aiment pas leurs chaînes, mais les sujets qui n'en ont pas vu l'ombre depuis tant de temps, en sont venus à douter de leur mémoire : même en ce Royaume, n'est pas Charlie qui veut. 

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