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dimanche 16 août 2015

Prrou (Colette) (3)

Elle s’appelle « Prrou », — en roulant les r, s’il vous plaît. C’est elle qui nous a dit son nom. Elle le roucoule toute la journée, autour du chaton noir qu’on lui a laissé : « Prrou, prrou... »
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 Elle vit en Bretagne, sur la terrasse chaude, au bord du pré qui descend à la plage. Son domaine, qu’elle a borné elle-même, va du perron à la haie de troènes en fleurs qui masque le mur de briques. Elle ne dépasse pas les grands tilleuls qui versent l’ombre sur ma maison de pierre rousse. Sait-elle qu’au bas de la terrasse une mer changeante, bleue et verte au soleil, violacée sous l’orage, mauve au lever du jour, s’agite sans repose ? J’en doute.
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 La Prrou en robe modeste, à qui on ne demande rien, s’entête à nous donner l’exemple des plus grises vertus : elle est propre, douce, humble, elle élève dignement son fils unique. Elle fait mieux : elle nous roule. Elle demeure, avec un tact exquis et une roublardise jamais en défaut, « celle qui a été si malheureuse ». Grasse et ronde, elle a gardé son regard de chat maigre, et la cuisinière l’appelle « pauvre créature ».
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 Elle dort sur un coussin douillet, mais dans la pose frileuse des couche-dehors. Elle s’efface pour nous laisser passer ; aussi reculons-nous, le cœur fendu de pitié, en la suppliant de ne se déranger point ! Il arrive qu’on lui marche un peu sur la patte, sur le bout de la queue, elle pousse un cri rauque, bref, et ronronne stoïquement, avec des yeux de martyre, pendant que nous nous lamentons.
 — Pauvre bête ! Il lui fallait encore ça, à elle qui a été si malheureuse !
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 Un bouchon se balance au gré du vent...
(la suite...)

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