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dimanche 27 mars 2016

La Statue (Emile Verhaeren)

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      On le croyait fondateur de la ville,
      Venu des pays clairs et lointains
      Vers ceux d’Europe — avec sa pauvre crosse en main,
      Et grand, sous sa bure servile.
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      Pour se faire écouter, il parlait par miracles,
      En des clairières d’or, le soir, dans les forêts,
      Où des granits carraient leurs symboles épais,
      Et tonnaient leurs oracles.
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      Il était la tristesse et la douceur
      Descendue autrefois, à genoux, du calvaire,
      Vers les hommes et leur misère
      Et vers le cœur.
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      Il accueillait l’humanité fragile,
      Il lui chantait le paradis sans fin
      Et l’endormait dans le rêve divin,
      Le front posé sur l’évangile.
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      Plus tard, le roi, le juge et le bourreau
      Prirent son verbe et le faussèrent ;
      Et les textes autoritaires
      Apparurent, tels des glaives hors du fourreau.
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      Contre la paix qu’il avait inclinée
      Vers tous, de son geste clément,
      La vie, avec des cris et des sursauts déments,
      Brusque et rouge, fut dégaînée.
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      Mais lui resta le clair apôtre et le soleil
      Tiédi, aux yeux de tous, de patience et d’indulgence
      Et la pieuse et populaire intelligence
      Venait puiser en lui la force et le conseil.
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      On l’invoquait pour les fièvres et pour les peines,
      On le fêtait en mai, au soir tombant,
      Et des mères apportaient leurs enfants
      Baigner leurs maux dans l’eau de sa fontaine.
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      Son nom large et sonore d’amour
      Marquait la fin des longues litanies
      Et des complaintes infinies
      Que l’on chantait, depuis toujours.
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      Il se définissait, près d’un portail roman,
      En une image usée et tremblotante,
      Qui écoutait, dans la poitrine
      Haletante des tours,
      Les bourdons lourds clamer au firmament.
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Emile Verhaeren (Les Villes tentaculaires, 1895)
Aujourd'hui, faisons place à un poète belge, Anversois, un flamand d'expression française, Emile Verhaeren qui donne à écouter son chant grave et musical. Poète libertaire qui fit scandale dans ses Flandres natales, au point qu'une anecdote raconte que ses parents et le curé de son village tentèrent d'acheter son premier recueil afin de le détruire.
Débarrassé de la tentation nationale, et de la soumission à des maîtres étouffants, il développa dans ses vers une vision créatrice appelant de ses vœux les «  Temps nouveaux  », dont ce poème issu de son recueil : Les villes tentaculaires. des œuvres qui le finirent connaître hors de Belgique... Ici, une photo avec son épouse, la peintre Marthe Massin, qu'il épousa en 1891...


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