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mardi 26 juillet 2016

Rome : Pierre Mac Orlan touriste humaniste

 J'ai trouvé au marché aux livre un volume très usé de la collection Poètes d'aujourdhui (Seghers) consacré à Pierre Mac Orlan, qui propose des textes brefs dont l'un, fascinant, sur la découverte de Rome : comment découvrir les habitants d'une ville dont on connaît trop bien le passé, l'Histoire et la culture ?
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Contrairement à ce que croient mes amis les collectionneurs, c'est souvent dans des vieux livres défraîchis et martyrisés par des mains maladroites et indifférentes qu'il m'arrive de trouver les meilleures littératures (alors que les collectionneurs, c'est connu, exigent des livres qui n'ont été lus par personne avant eux ! ce qui fait joli, mais n'incite guère à la lecture). Ici, c'est dans un vieil album Seghers très abîmé que j'ai trouvé cette chanson ainsi que le texte ci-dessous.
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En ces temps, où l'on feint de croire qu'un homme est capable de devenir fanatique en quelques heures, où l'on s'obstine à trouver des boucs émissaires, et accuser l'étranger de nos propres maux, au lieu de faire en sorte que tous les enfants de France — sans exception — trouvent du bonheur à y vivre et non pas un sentiment d'exclusion, il est intéressant de lire le texte qui suit, où quelqu'un parcourt une ville en quête de ses bizarreries, de ses quartiers peu fortunés et d'un regard en recherche d'un homme... tout simplement :
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ROME
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Une nuit, ayant dîné seul à mon hôtel, j'allumai une cigarette et, repris par ce goût très populaire que j'ai pour la rue, ses personnages ou leurs ombres, j'arrêtai un taxi et me fis conduire un peu au hasard, en ayant soin de contourner le Colisée. Après quoi, entre les arbres effeuillés, nous roulâmes pendant dix ou quinze minutes dans la direction de la porte Saint-Sébastien, avant de rompre le silence de la voie Appienne. J'avais à peu près perdu le sens de la direction. La voiture roulait dans les allées d'un cimetière, ça et là, peuplé de villas. Et je connaissais les morts mieux que les vivants. Lydia, la petite Lydia sortait de son tombeau en pétrissant une boule de cristal dans ses mains racées, peut-être pour m'accueillir et me faire les honneurs de Rome, comme une simple fillette publique de chez nous.
Pierre Mac Orlan lors d'un voyage à Casablanca
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 D'autres, qui sans doute avaient connu Catulle, quand il se promenait sans chapeau comme Bontempelli, et Pétrone élégant, soufflé, inhumain, à la manière d'Oscar Wilde et plein de talent, tel Hugues Rebell, se penchaient gracieusement à la porte des maisons sans toit, à peine fantomatiques. Devant elles, je n'étais plus qu'un barbare las, mais recommandable, à cause de certains souvenirs d'enfance sur les bonnes manières.
 Candilie et Lesbie, une plume de bersaglier à l'oreille, chantonnaient sur un air américain ce fameux fox-trot universitaire : Aspice Pierrot Pendu. La voiture avait allumé ses phares qui balayaient de leurs jets de lumière glacée les éléments nocturnes d'un passé plus puissant que la vie.
 Mon chauffeur avait vécu à Paris. Cet homme n'éprouvait aucune aversion pour les Français. Je pris place à côté de lui et nous rentrâmes dans la Ville par la route de la porte de Saint-Sébastien. Nous longeâmes les quais jusqu'au moment où nous aperçûmes le pont Victor-Emmanuel devant le Corso.
 — Venez avec moi, monsieur, dit le chauffeur.
 Je le suivis, les mains dans les poches de mon pardessus et la pipe à la bouche. Nous descendîmes quelques marches qui accédaient à une rue en contre-bas.
 — C'est un café, dit l'homme, puis il ajouta en esquissant un fin sourire de lettré... un bistrot.
 Rien ne pouvait me plaire davantage que de boire une fiasque de vin dans un bistrot, sans souvenirs, sans rêveries, sans horizons surpeuplés de dieux et de déesses toujours un peu coquines.
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En buvant un verre de vin excellent, j'imaginais le Pape dans sa chambre à coucher. Il dormait sous un énorme édredon rouge comme on en voit à la campagne. Le vieillard paisible triomphait de tous les chèvre-pieds querelleurs et sensuels qui rôdaient entre les tombeaux. L'Olympe grelottait à la porte du Vatican. L'Italie et l'Europe en avaient fini avec les querelles des dieux.
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Petites notes : au petit jeu des références, il m'en manque beaucoup. Voici celles qui me semblaient notables. Mais Candilie, Lesbie et Lydia restent mystère pour moi. Peut-être des héroïnes de roman célèbres ?
Catulle : poète qui vécut l'essentiel de sa vie à Rome
Hugues Rebell : auteur et poète français qui vécut longtemps en Italie.
. « Aspice Pierrot pendu                    Regarde Pierrot pendu
  Qui Librum n'a pas rendu ;              Qui n'a pas rendu le Livre
  Si Librum redidisset                       S'il l'avait rendu
  Pierrot pendu non fuisset. »            Pierrot n'aurait pas été pendu
Cette formule semble avoir été reprise, d'une autre, petit poème écrit par le possesseur d'un livre, une formulette de possession comme expliqué ici.

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