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mercredi 28 mai 2025

Interview de Pierre Viguié

 
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Vous semblez avoir beaucoup évolué professionnellement, pouvez-vous nous décrire, succinctement votre parcours ?

Après mon baccalauréat, j’ai obtenu un diplôme universitaire d’informatique de gestion et travaillé aussitôt dans une banque comme analyste programmeur. J’étais parti pour une carrière tranquille dans un bureau, mais mes aspirations existentielles et artistiques étaient ailleurs, et ce bien avant.

Dès 16 ans, je réalisais des bandes dessinées et jouais de la guitare basse électrique en autodidacte, mon milieu familial ne pouvant m’offrir des cours particuliers, et il n’y avait ni conservatoire ni cours de dessin à proximité.

En 1991, jeune adulte indépendant de 25 ans, je me dispersais beaucoup dans des modes d’expression assez différents : dessin, théâtre à un niveau semi-professionnel, guitare classique intensive et cinéma d’animation. Tout mon temps libre, dont celui nécessaire à une partie de mon sommeil, était consacré à ces activités dans lesquelles je m’épanouissais, tandis que je me morfondais dans l’informatique. Arrivé à la trentaine, j’ai senti que je ne tiendrais pas longtemps et qu’il me fallait faire un choix.

Coupant la poire en deux, j’ai demandé en 1996 un aménagement à mi-temps, torpillant ainsi une future carrière de cadre supérieur.

Ce gain de temps libre m’offrait la possibilité d’une reconversion dans un de mes hobbies. Celui qui, concrètement, était le plus pérenne financièrement concernait la musique, en particulier l’enseignement. Après cinq années de conservatoire en classe professionnelle, j’obtins un premier prix de guitare classique en 2002 et j’étais professeur à plein temps en 2005, un travail très plaisant et bien moins chronophage. Je consacre actuellement mon temps libre à la réalisation et à l’écriture.


Qui lisait quoi dans votre entourage dans votre jeunesse ?

Mon entourage familial lisait très peu, mais m’y encourageait. On m’offrait souvent des bandes dessinées et des romans dans le domaine de l’imaginaire, mon préféré.


Quels sont vos premiers souvenirs de lecture ?

Une encyclopédie illustrée de vulgarisation scientifique, pour enfants et jeunes adolescents : Tout l’Univers, en 15 volumes, que j’ai dû lire intégralement une dizaine de fois, en savourant particulièrement les articles traitant de science, surtout l’astronomie.


Quels livres vous tiennent à cœur ?

a) Le premier, celui qui a marqué le début de quelque chose :

Le K de Dino Buzzati : un extraordinaire recueil de nouvelles ou le fantastique surgit au sein du quotidien le plus banal, en portant toujours un message social ou philosophique.


b) Un livre qui est comme un compagnon sur le chemin : 

Une brève histoire du Temps de Stephen Hawking. La vulgarisation scientifique, la cosmologie, l’astrophysique, le Temps, l’Univers et ses lois, ont plus stimulé mon imaginaire que tout ce que j’ai pu lire en science-fiction.


c) Le livre que vous adorez sans avoir jamais osé le dire

XY, de l’identité masculine, essai d’Élisabeth Badinter.


Même question, mais pour le cinéma et la télé, y a-t-il des films, ou des séries qui vous ont marqué ?

Principalement des animés et des films de science-fiction/fantastique, avec une tendresse particulière pour ceux des années 80, avec leurs touchants trucages sans VFX. Les films qui m’ont le plus marqué sont Le voyage de Chihiro de Hayao Miyazaki et The Shining de Stanley Kubrick. Les deux traitent, entre autres, de l’enfance et de ses traumatismes.


Vous souvenez-vous de votre apprentissage de l’écriture ?

Pendant ma période comédien, j’ai écrit huit pièces de théâtre dans le domaine de l’absurde ou du fantastique, jamais publiées, et quelques nouvelles du même genre. L’écriture de roman m’est venue subitement dans le métro un soir de 2017 alors que le jeu sur mon téléphone m’ennuyait. J’ai commencé sur l’application bloc-note le chapitre d’une histoire de science-fiction qui me trottait dans la tête, et j’ai loupé mon arrêt. Ce roman, L’Erreur était humaine, a été auto-publié en format numérique. C’est mon premier roman, je le considère comme un brouillon, une expérience. Elle fut déterminante. Je ne pouvais que continuer, et j’en suis à mon cinquième. Ce qui ne m’empêche pas, parfois, d’écrire des nouvelles, dont le format plus condensé offre moins de possibilités d’évolution dans la narration, mais permet d’exposer des univers, des personnages ou des idées sans qu’il soit nécessaire de les développer.


Y a-t-il une œuvre de science-fiction qui vous a marqué ?

En premier, loin devant les autres : le film Alien, le 8me passager de Ridley Scott, sorti en 1979.


Et une œuvre ou un musicien ?

Toute la musique de J.-S. Bach. Son œuvre est hors du temps et de l’espace, d’une lumineuse complexité, à mon sens la plus touchante et la plus humaine qui soit.


L’œuvre importante de l’adolescence, littéraire ou autre ?

Buffet froid, film de Bertrand Blier, sorti en 1979, chef d’œuvre absolu mêlant humour noir, cynisme décomplexé et absurde.


Existe-t-il des moments privilégiés pour l’écriture ?

Pour des idées dites « lumineuses », pendant la douche et les trajets en métro. Le travail approfondi se fait généralement le soir jusqu’à très tard.


La musique a une place de premier plan dans votre vie, est-ce qu’elle s’articule avec l’écriture, et comment ?

La musique instrumentale, en particulier le répertoire classique, est un art d’émotion, la chanson et le lyrique mis à part, qui sont des œuvres hybrides mêlant poésie et musique. On ne décrit pas un paysage, ou déroule un dialogue, avec seulement des sons sans paroles.

Pourtant, il existe de nombreux points communs entre l’écriture d’un texte et l’élaboration d’une interprétation instrumentale. On porte le même soin extrême dans le travail de chaque note que dans le choix de chaque mot. Dans les deux modes d’expression, il y a du phrasé, une articulation, des moments de tension et d’apaisement, des chapitres distincts, une narration globale, une évolution du propos, et bien sûr, un rythme.


Vous vous êtes lancé directement dans un roman, qu’est-ce qui a déterminé ce choix ? Vous intéressez-vous à la nouvelle ?

J’ai commencé, il y a longtemps, par des nouvelles, toutes inspirées du fantastique au quotidien comme celles de Dino Buzzati, excepté la dernière, de science-fiction, qui a été publiée dans l’anthologie Alienation aux éditions Portejoie. L’envie du roman m’est venue car j’avais en tête une histoire avec beaucoup trop d’éléments et d’évolution dans la narration pour que tout soit exposé dans une nouvelle.


Les rapports avec vos professeurs occupent une place centrale dans vos écrits, pouvez-vous nous en dire un mot ? Notamment de ces enseignants incontournables qu’il nous arrive tous de vivre comme un travail (d’Hercule) nécessaire ?

Je suis enseignant en musique, mais également élève en piano. La musique me fascine car elle communique des émotions et procure un plaisir indicible que la science même n’explique pas. Par ailleurs, j’aime transmettre. Le rapport prof/élève est complexe, fertile et très stimulant. C’est bien plus que de l’enseignement. C’est un partage et un échange autour d’une passion commune.


En matière d’imaginaire, avez-vous d’autres genres que la Science-fiction que vous souhaiteriez traiter : fantasy, fantastique, autre ?

Principalement le fantastique, surtout lié au thriller, sans aller jusqu’à l’horreur gore, un genre que je n’apprécie pas. La hard science-fiction et l’anticipation, qui me passionnent également, sont en deuxième plan. Je ne suis pas particulièrement attiré par la fantasy.


Vous vous consacrez au stop motion, le cinéma animé à base de figures en trois dimensions, pouvez-vous nous parler des vidéos de Dr Suture ?

Après une dizaine de films stop-motion, fantastiques et/ou burlesques, réalisés à partir des années 90 en super 8, puis 16 mm, puis en numérique avec Franck Rekai, un ami de longue date ; nous avons réalisé quatre épisodes d’une série humoristique et absurde narrant les consultations d’un petit docteur soignant des maladies dites « improbables ». Ce format brise perpétuellement le quatrième mur en faisant entrer le réalisateur, donc moi-même, dans l’histoire, tout comme le faisait Marcel Gotlib dans certaines de ses bandes dessinées. Par la suite, j’ai continué la série seul sur plus de 50 épisodes. YouTube ne me sert que de plateforme de diffusion. Je ne suis pas Youtubeur. Je ne peux pas, et ne cherche pas, à fournir l’énorme quantité de contenu qu’exige cette activité. Ma chaîne ne compte que quelques milliers d’abonnés.


Pouvez-vous parler de votre grand projet de cinéma ?

J’avais interrompu Docteur Suture en 2020 par lassitude et manque d’inspiration, pour me consacrer pleinement à l’écriture. Ma première publication dans l’anthologie Aliénation des éditions Portejoie propose, pour chaque nouvelle, une illustration, une musique et un court-métrage. Ça m’a donné l’occasion de me remettre à la réalisation. Le plaisir est revenu, avec la motivation, avec bien plus d’intensité.

Est née alors l’idée d’un projet qui paraît de prime abord démesuré : réaliser un long-métrage à partir de mon troisième roman, non publié. Je m’y suis attelé en mai 2024. La tâche est colossale, mais incroyablement stimulante, bien plus que je m’y attendais.

C’est une auto-production que je réalise principalement en solitaire, tant la technique du stop-motion, éloignée de celle en prise de vue réelle, est ultra spécialisée et diversifiée. Je suis donc un réalisateur indépendant, qui travaille au fil des jours dans son coin, tels – comparaisons ô combien audacieuses ! – Phil Tippett pour Mad God, ou Takahide Hori pour Junk Head, ou même David Lynch pour Eraser Head. Je suis aidé par des amis fiables, fidèles et très proches pour la musique, des illustrations et les doublages.

Actuellement, le film est achevé au tiers ; et la réalisation complète, à la moitié. J’espère terminer ce projet début 2026 et je cherche d’ores et déjà les moyens de sa diffusion.


Pierre VIGUIÉ

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