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mardi 23 février 2010

Prémonitions d'un géant (Ray Bradbury)


Ouverture des « Chroniques Martiennes » de Ray Bradbury, un instant de réchauffement de la vie, en un temps où on ne craignait guère l'embrasement de l'avenir :
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Janvier 1999
L'ÉTÉ DE LA FUSÉE
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L'instant d'avant, c'était l'hiver en Ohio, avec ses portes et ses fenêtres closes, ses vitres diaprées de givre, ses toits frangés de stalactites, les gamins skiant sur les pentes, les femmes emmitouflées dans leurs fourrures, arpentant les rues glacées comme de grands ours noirs.
Puis une longue vague de chaleur balaya la petite ville. Un raz de marée d'air brûlant ; comme si l'on venait d'ouvrir la porte d'un four. Le souffle chaud passa sur les maisons, les buissons, les enfants. Les glaçons se détachèrent, se brisèrent et se mirent à fondre ; les enfants rejetèrent leurs lainages ; les femmes s'extirpèrent de leurs peaux d'ours ; la neige se liquéfia, découvrant les pelouses vertes de l'été précédent.
L'été de la fusée. La nouvelle se propageait de bouche en bouche dans les maisons grandes ouvertes. L'été de la fusée. L'haleine embrasée du désert dissolvait aux fenêtres les arabesques du gel, effaçait l'œuvre d'art. Skis et luges devenaient soudain inutiles. La neige, tombant du ciel froid sur la ville, se transformait en pluie chaude avant d'atteindre le sol.
L'été de la fusée. Sur le pas de leurs portes aux porches ruisselants, les habitants regardaient le ciel rougeoyer.
La fusée, sur sa plate-forme de lancement, crachait des tourbillons de flammes roses dans une chaleur torride. La fusée, dressée dans cette matinée glacé d'hiver, à chaque pulsation de ses puissants tubes d'échappement créait un nouvel été.
La fusée, génératrice de climats, apportait pour un court moment la canicule sur la Terre.
(illustrations de Christian Broutin, édition Denoël 1973)

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