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mercredi 15 février 2012

Anonymous : libérateurs ou « pilleurs libres » ?

Ils ont un nom bizarre, ces Anonymous. Au début, ça me rappelle les vengeurs masqués et mon amour d'enfant pour les exploits de Zorro, le vengeur masqué, qui permit d'idéaliser l'accession de la Californie à la démocratie. Je me souviens aussi de ma passion pour la bande dessinée « V pour Vendetta ».
  En signant Anonymous sous le masque de Guy Fawkes, le mouvement revendique le fait de cacher son identité par référence aux vengeurs masqués. Le côté romantique est sympathique. Mais la vie n'est pas faite de fictions romantiques. La Californie fut cédée par le Mexique à l'issue d'une guerre et la ruée vers l'or provoqua un afflux de population qui décima les indiens. Nul vengeur masqué en Californie, mais des mineurs qui massacrèrent les indiens. Aucune série télévisée n'a raconté ces massacres commis par des blancs armés des meilleures intentions du monde : piller l'or de la Californie. Tiens, je connais moi aussi des gens qui, au nom de la lutte contre la censure, réclament le droit de piller ce qu'ils veulent...
 Quant à Guy Fawkes, c'était un révolutionnaire qui tenta de faire exploser le parlement : pour prouver la justesse de sa cause, il était déterminé à tuer des centaines de députés. Quant à la série « V pour Vendetta », elle est très jolie, mais c'est une fiction.
 Anonymous, qu'il l'ait voulu ou non, est donc une référence romantique et une référence violente, car il y a beaucoup de violence derrière ces vengeurs masqués. La fiction, dont se sert Anonymous semble un excellent vecteur, car elle attire la sympathie instinctive pour l'image qu'elle prétend incarner et tente de faire croire que vos rêves vont devenir réels. Anonymous manipule fort bien la communication.
 Quand il n'est pas de carnaval, le masque sert souvent à dissimuler l'identité d'une personne violente : voleur, violeur, espion, extrémiste religieux... Le «vengeur masqué» est l'exception sympathique mais il n'est que cela, un — sympathique, mais quel mensonge réussi ne l'est pas ? — mensonge.
 Ces derniers jours, suite à des propos menaçants, Anonymous fait paraître des déclarations lénifiantes affirmant leur désir de défendre les libertés individuelles. Si les membres d'Anonymous peuvent prétendre avoir lutté contre la censure d'état en Tunisie, Iran, Algérie, ou contre l'église scientologiste, ils se révèlent réactionnaires, quant au droit des auteurs qui sont pour l'instant les victimes collatérales de l'Internet. On leur dénie leur expression, leurs écrits, leurs films, leurs musiques, en les volant, en les dupliquant et en ôtant le nom de l'auteur pour briser leur origine : les idées sont libres, mais les expressions de ces idées appartiennent à ceux qui ont eu le courage de les formuler et de les signer. L'Anonymat se métamorphose en destructeur très violent des auteurs qui sont leur cible privilégiée. Quoi de plus haïssable que celui qui a le courage de prendre visage quand on se revendique anonyme ?
 On a d'ailleurs l'impression qu'il ne s'agit pas des mêmes anonymes qui dénoncent les manipulations de la scientologie et qui exigent le droit de regarder « Massacre à Fort-Apache » sans débourser un penny. En tout cas, ce n'est pas le même discours, et l'on voit toute l'ambiguïté de ce sourire qui peut dissimuler des intérêts discordants. Y a-t-il plusieurs anonymous, celui qui lutte contre les sectes, et celui qui désire consommer gratuitement tout ce qu'il veut ? En revendiquant la liberté totale, Anonymous détruit — à égalité avec les grands lobbys informatiques — le droit d'auteur sous prétexte de leur liberté à piller ce qui leur semble bon, un peu comme ces chercheurs d'or californiens qui détruisirent tous ceux qui s'opposaient à leur soif d'or.
 Un auteur signe, non pas « d'un 'Z' qui veut dire Zorro », mais de son nom ce qu'il écrit. S'il écrit des textes brûlants, il en accepte le risque. Le droit d'un auteur à assumer ses écrits implique qu'il en reste le dépositaire, le représentant et leur incarnation, devant la loi, et aussi devant les hurlements de la foule anonyme... Salman Rushdie est tout sauf anonyme. Et les fatwas d'Anonymous me donnent des frissons quant aux conséquences qu'elles pourraient avoir sur des esprits faciles à enflammer...
 Qui est du côté du peuple, les anonymes qui détruisent tout sur leur passage ou les auteurs qui le défendent en leur nom ?

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