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mercredi 8 février 2012

Plagiat : l'invasion des profanateurs de création ?

 Internet a généralisé la notion de « plagiat », et les professeurs crient à la perte de créativité d'élèves juste capables d'opérer des « copier/coller » aveugles. L'idée sous-jacente pourrait se résumer ainsi : « Recopier, c'est manquer d'originalité et de créativité ».
 Petit contr'exemple : une biographie d'Hemingway écrite par un présentateur vedette de la télévision s'est révélée n'être que la recopie d'une thèse étudiante, et l'enquête qui s'est ensuivie a montré que le présentateur faisait travailler un autre écrivain — un nègre dont il est le plagiaire — et que ce nègre s'était simplifié le travail en recopiant la thèse. A votre avis, qui fut réprimandé ? La star ou le nègre ? Le vol de texte est une pratique banale dans le Monde...
« Qu'est-ce que l'originalité ? » Je me souviens d'une enseignante d'allemand qui nous avait parlé de Berlin, à l'époque du Berliner Mauer avec des accents poignants : j'avais redit ses paroles dans un devoir et j'avais reçu des éloges pour l'originalité de mon propos...
 Cette règle est généralisable : pour avoir une bonne note, l'enseignant vous demande seulement d'aligner ce que vous avez appris en cours et de montrer que celui-ci a été compris. Apprendre, c'est recopier jusqu'à s'exempter de personnalité. Je ne connais qu'une exception — merveilleuse, il est vrai — à cet ennui de l'enseignement : elle date du collège, où j'ai eu, de la sixième à la troisième, des professeurs de français qui n'étaient jamais aussi heureux que lorsque nous leur présentions une rédaction inventive, animée d'un souffle. Ils se montraient indulgents avec nos maladresses pour mieux mettre en valeur la singularité d'une parole.
 Après, plus de rédactions, plus de création : jusqu'à cinq années après le baccalauréat, nul besoin de prouver son originalité, bien que, de-ci de-là, une pointe personnelle ait le droit d'exister et fasse sourire un correcteur. Je me souviens d'un oral de physique, pour entrer dans une école d'ingénieurs où le professeur m'a posé un exercice classique, que je n'avais jamais réussi à résoudre. Faute d'en être capable, j'ai fait semblant de réfléchir et je lui ai proposé un à un tous les théorèmes se rapportant à l'exercice. Je n'ai pas trouvé la solution, mais pour avoir montré que j'avais appris les équations de Maxwell, j'ai récolté un douze, suffisant pour intégrer une école d'ingénieurs... Je n'ai plus jamais eu à manipuler les équations de Maxwell, et c'est heureux pour vous.
 A l'opposé, plus tard, il m'est arrivé de présenter un texte à un producteur quelconque, «pénétré» de ses responsabilités, et de m'entendre dire en préambule que mon scénario — mon court-métrage parfois — était original, évitez de vous sentir flatté, le préambule n'est qu'une figure de rhétorique creuse... Mais elle dit bien qu'être original, c'est être refusé, et rejeté dans la marge. L'originalité est rare, donc mal acceptée. Présentez un copieux ramassis d'idées reçues et de lieux communs, mettez-y un peu d'art, d'humour et sachez dissimuler la banalité du propos sous une forme tapageuse, vous êtes certain d'être loué pour votre originalité, d'être édité, produit et de vendre vos écrits... dont les critiques loueront l'originalité : mais où va-t-il chercher tout ssââ ?
 Les premiers écrivains étaient des COPISTES de profession, recourbés leur vie durant sur des parchemins, qu'ils grattaient en y recopiant la bible ou la sagesse antique. Les meilleurs obtenaient le droit de rédiger des commentaires, ainsi Saint-Thomas d'Aquin, Abélard, Guillaume d'Ockham, copistes de génie qui s'étaient imprégnés de la pensée des ouvrages qu'ils avaient copiés au point de devenir aptes à les critiquer, d'étendre le domaine de pensée initial, ou en trouvant des principes nouveaux, que serions-nous sans nos plagiaires historiques ? Sans le rasoir d'Ockham ?
 Phèdre, puis La Fontaine, sont des plagiaires assumés d'Esope, leur originalité ne vient pas de ce qu'ils ont recopié leur illustre ancêtre. Chez les écrivains, la copie, le plagiat sont le pain quotidien de la création et les plus belles créations, comme le Dom Juan de Molière, puis de Mozart, comme les danses slaves de Brahms, de Dvorak sont l'exemple même de ce que leur modestie leur permit de s'inspirer d'un conte et de danses populaires  : chez eux, qui ne prétendaient qu'à remettre au goût du jour la culture populaire, le génie créateur s'est exprimé avec brio sur des copies de copies de copies... et avec assez de lumière pour nous éblouir encore... Alors plagiez, imitez, mais avec cœur et enthousiasme.

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