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dimanche 17 juin 2012

Oiseaux de passage (de Richepin à Brassens)

O ! Vie heureuse des bourgeois ! Qu'avril bourgeonne,
Ou que décembre gèle, ils sont fiers et contents.
Ce pigeon est aimé trois jours par sa pigeonne ;
Ça lui suffit, il sait que l'amour n'a qu'un temps.
             Ce dindon a toujours béni sa destinée.
             Et quand vient le moment de mourir, il faut voir
             Cette jeune oie en pleurs : « C'est là que je suis née :
             Je meurs près de ma mère et j'ai fait mon devoir. »
Elle a fait son devoir ! C'est à dire que oncques
Elle n'eut de souhait impossible, elle n'eut
Aucun rêve de lune, aucun désir de jonque
L'emportant sans rameur sur un fleuve inconnu.
             Et tous sont ainsi faits ! Vivre la même vie,
             Toujours pour ces gens-là, cela n'est point hideux.
             Ce canard n'a qu'un bec, et n'eut jamais envie
             Ou de n'en plus avoir, ou bien d'en avoir deux.
 Ils n'ont aucun besoin de baisers sur les lèvres
Et, loin des songes vains, loin des soucis cuisants,
Possèdent pour tout cœur un viscère sans fièvres,
Un coucou régulier et garanti dix ans !
             Oh ! Les gens bienheureux ! Tout à coup, dans l'espace,
             Si haut qu'il semble aller lentement, un grand vol
             En forme de triangle arrive, plane et passe.
             Où vont-ils ? Qui sont-ils ? Comme ils sont loins du sol !
Regardez-les passer ! Eux, ce sont les sauvages.
Ils vont où leur désir le veut, par dessus monts,
Et bois, et mers et vents, et loin des esclavages,
L'air qu'ils boivent ferait éclater vos poumons.
             Regardez-les ! Avant d'atteindre sa chimère,
             Plus d'un, l'aile rompue et du sang plein les yeux,
             Mourra. Ces pauvres gens ont aussi femme et mère
             Et savent les aimer aussi bien que vous, mieux.
Pour choyer cette femme, et nourrir cette mère,
Ils pouvaient devenir volailles comme vous.
Mais ils sont avant tout des fils de la chimère,
Des assoiffés d'azur, des poètes, des fous.
 Regardez-les ! Vieux coq, jeune oie édifiante !
 Rien de vous ne pourra monter aussi haut qu'eux.
 Et le peu qui viendra d'eux à vous, c'est leur fiente.
 Les bourgeois sont troublés de voir passer les gueux.
                                          *
Le poème original, de Jean Richepin (1849-1936) est plus long, et à vrai dire, empesé, et je trouve que Brassens sut en tirer, par ses raccourcis saisissants et hardis, toute la force et la sauvagerie. Voici la chanson de Brassens.









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