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vendredi 5 décembre 2014

Trous de ver Fiction <-> Réalité

Mentir-vrai versus Parler-faux
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La fiction, c'est le mentir, une construction imaginaire, qui prétend raconter... des événements tirés de l’imagination et dont l’intérêt est multiple : détente — nous aimons les histoires —, et réflexion : l’histoire racontée est une matière à méditer pour notre compte, et elle nous suggère de comparer son apparente fausseté aux mensonges de notre vie et il arrive qu'elle ouvre une voie inédite, un « Trou de ver », de la fiction vers la réalité à un problème personnel persistant. Le moment de détente, que je consacre à lire une histoire est donc une fonction psychologique ressourçante, libératrice, tout comme, lorsque nous sommes stressés, harcelés, le sommeil est essentiel. D'ailleurs, l'association des conseils de la nuit et des histoires lues avant de s’endormir sont des amis dont les conseils éclairent nos jours.
Mais il n'y a pas que des histoires à la vérité enrichissante. Des tas d’histoires nous laissent froids, distants, non concernés : les ingrédients, l'habileté de l'écrivain sont indéniables, l'ennui aussi. Et puis il y a aussi les mythes, les mythes des mythomanes, qui tentent à nous faire accroire des mensonges et dont il faut savoir se méfier : dès que quelqu'un me parle de la lutte du Bien contre le Mal, par exemple... Quel Bien ? Quel Mal ? S'agit-il du Bien de ceux qui se posent comme pensant à ma place, de ceux qui me donnent des ordres ? Le mal, est-ce ceux là qui osent dire que nos maîtres sont des humains égoïstes, tyranniques et vindicatifs ? Difficile de ne pas y croire dans la réalité et de raffoler de ces récits là... qui nous entraînent souvent dans des impasses, des histoires qui prétendent endormir la douleur et qui ne nous aident en rien à évoluer.
Au fond, si je m'obstine à les compter dans ma bibliothèque, leur nombre même est une tyrannie, une frayeur, et beaucoup d’écrivains ne semblent rien tant désirer que de raconter des choses qui n’arrivent pas, et la littérature peut sembler un travail de sympathique escroquerie (d'ailleurs, un bon escroc est par définition sympathique), d’affabulateur, et aussi l’œuvre de personnes visant rien moins qu’à dominer ceux qui les lisent : on retrouve ainsi, côte à côte, des prêtres célèbres, tels Ron Hubbard1, Claude Vorilhon2, des auteurs à succès et des maîtres à penser de... réseau social. (c'est fou le nombre de maîtres à penser, sur la toile).
Enfin, il y a le mentir-vrai, l'expression fut inventée par Aragon :
           Marguerite Marie et Madeleine
           Il faut bien que les sœurs aillent par trois
           Aux vitres j'écris quand il fait bien froid
           Avec un doigt leur nom dans mon haleine... (3)
 c'est à dire une construction mensongère, qui devient intéressante dès lors qu'elle s'efforce de traquer, sous l'apparence d'une mélodie « toute simple »... un bout de vérité, de vrai : la fiction permet alors, moyennant une certaine rigueur, de raconter des événements contemporains, parfois actuels, parfois autobiographiques, parfois historiques... l'aspect imaginaire et le recours à une symbolique manifeste permettent de faire accepter ce qui serait autrement considéré comme inacceptable. Ces histoires-là, deviennent alors sources de réflexion pour les lecteurs, littérature d’apprentissage, d’élévation et de découverte de soi, d’autrui, du monde...
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 Exemple relativement cocasse si l'on songe que, dans une affaire traitant d'un sujet d'actualité, la difficulté consiste souvent à nommer de manière allusive un nom réel. La série Les hommes de l'ombre, diffusée sur France 2 en octobre 2014 évoque les coups tordus des cabinets de communication qui œuvrent dans l'ombre des grands de ce monde. Or nous avons une actualité, avec le cabinet de com’ Bygmalion dont le nom est une allusion à Pygmalion, le sculpteur mythique qui donna vie à une statue d'ivoire. Dans la fiction, la réalité ayant choisi d'être allusive, les auteurs ont donc pu substituer Bygmalion par Pygmalion !
 Comme nous ne vivons pas dans un monde idéal, encore faut-il que l'auteur ait le désir de raconter sincèrement et véritablement les événements dont il est parfois le témoin, parfois l'historien, à charge pour lui de traiter équitablement les parties en cause et de ne pas confondre la vérité avec cette purge qui consiste à réaliser un exposé non corrigé d'opinions personnelles. Moyennant précaution, la fiction est alors une manière de parler de la vérité et du monde. La vérité du mentir y gagne une force brûlante, car elle permet d'évoquer sans fard, et sans détour, sous le masque de ce vrai-mentir, les vérités qu'un journaliste ne peut pas dire !
 Bien sûr, il faut savoir jeter aux orties un Dumas enfumeur, et se réveiller avec Dickens et Stendahl. Ou, dans le cas d'une œuvre multisémique comme le Seigneur des anneaux, faire le tri entre les élucubrations de ceux qui se donnent des manières d'elfe, (et qui me font peur, rien de pire qu'un humain qui se prétend angélique) et, par exemple, son rapport avec la vérité historique contemporaine... qui donne l'ampleur, et la noirceur, de cet Anneau.
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 À l'opposé, un des fondements de la vie moderne, en matière de loisir, est l'information, représentée par les journaux, les chaînes de télévision, et depuis peu, les sites d'information.
Par définition, l'information consiste à nous donner des nouvelles réelles du monde : réelles, donc vraies. La presse proclame en permanence son souci de la déontologie, la nécessité de la protection de ses sources, le croisement des informations pour trier le vrai du faux et elle est exposée aux nombreux procès qui lui sont intentés pour diffamation, affirmations fausses, mensongères... et comme sa renommée, et ses ventes, reposent sur la vérité de ce qui est affirmé, un soin tout particulier est mis dans la justesse de ce qui y est dit.
 Quand il s'agit de donner le résultat d'un match de tennis, pas de souci. Quand il s'agit de révéler la face intime d'un homme politique, une malversation, un financement sulfureux, l'achat de votes à la veille d'une élection ou des fonds qui arrivent enveloppés dans du papier journal et qui sont échangés dans un bar des Champs-Elysées, l'affaire se complique singulièrement. 
 La stratégie des accusés pour semer le trouble, tient justement dans le développement d'une stratégie de communication, dont la plus connue, venue d'outre-Atlantique, s'appelle le Story Telling qui consiste à remplacer l'information, brute et froide, par :
  • une histoire, fondée sur l'émotion (brouiller les pistes avec une émotion qui trouble le fait)
  • une histoire, parce que structure fondamentale, qui capte l'attention, il y a un plaisir à entendre et à lire une histoire, bien supérieur à l'écoute de l'énoncé de faits bruts.
  • une stratégie qui consiste à dérouler cette Histoire racontée à l'infini, de façon à remplir l'espace de l'information et brouiller les messages d'autrui.
 Le but unique de ces méthodes consiste à jeter un voile de fumée, brouiller l'histoire vraie, en racontant une autre histoire, vraisemblable, à l'apparence vertueuse, qui jette le discrédit sur la Vérité.
 En matière historique, le recul reste souvent la seule méthode fiable, et la mort des protagonistes, le principal remède à ces stratégies du mensonge, ainsi que l'ouverture des archives... qui peuvent prendre, dans le cas des décimations commises par l’état-major français en 14-18, plus de soixante-dix ans. Lors de la seconde guerre mondiale, la vérité du massacre de Katyn, n’a été définitivement établie qu’après la chute de l'U.R.S.S. Ce qui signifie que la moindre parcelle de vérité, telle une molécule d'eau cheminant à travers divers couches géologiques qui la purifient tout en la chargeant de molécules rares peut prendre beaucoup de temps, et que nous ne saurons, au mieux, certaine vérité qu'à la veille de notre mort.
 D'où le paradoxe, qui n'est qu'apparent, que la presse qui s'est spécialisée dans la propagation d'événements vrais, se retrouve le plus souvent contrainte d'énoncer — sans pouvoir la commenter, par déontologie — un « Racontoire » aussi beau que mensonger (que l'on songe, par exemple, à ce fabricant d'OGM qui proposait d'implanter en plein champ, une plante fournissant un médicament. La culture aurait fourni plusieurs centaines de kilos du produit biologique recherché, alors que quelques centaines de grammes suffisaient à traiter l'ensemble des malades) : souvent, nous n'aurons jamais accès, malgré une attente très longue, à l'inavouable vérité.
 Ainsi la technique du Racontoire se transforme en stratégie du parler-faux qui se heurte de plein fouet au mentir-vrai des auteurs de fiction riche, fécond et nécessaire.
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 Dans notre monde, l'apparence prime, et notre entourage bruit de ces multiples histoires, rumeurs, propos rapportés sans vérification, diffamation, fècebouconneries qui mélangent approximations et omissions : le besoin de tout mettre en scène est devenue une maladie où le racontoire et le parler-faux envahissent tout (Non mais allô quoi... je te tue, avec ou sans poignard ?). 
 Que faire dans ce climat régressif ? Refuser de prétendre dire LA vérité, et affirmer Mentir, mais avec la force de la vérité, serait un idéal, et une sorte d'acte de Résistance.
Références :
1. Ron Hubbard : à la fois auteur de SF et cofondateur de l'église de scientologie
2. Claude Vorilhon, auteur d'un livre sur une rencontre du troisième type dans le parc des volcans d'Auvergne (si c'est pas de la SF, ça...) et fondateur de la secte Raël
3. Marguerite Marie et Madeleine, Le Roman inachevé (1956)

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