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vendredi 26 février 2010

La belle fauconnière (M.Z. Bradley)


Romilly était si fatiguée qu'elle tenait à peine debout. Il faisait noir dans la fauconnerie, sans aucune lumière à part la sourde clarté d'une lanterne pendue à une solive ; mais les yeux du faucon étaient aussi brillants, aussi sauvages et aussi rageurs que jamais. Non, se répéta Romilly ; il n'y avait pas que de la rage dans ces yeux, mais aussi de la terreur.
Elle a peur. Elle ne me hait pas ; elle a peur, c'est tout, pensa Romilly de sa femelle.
Elle la sentait au tréfonds d'elle-même, cette terreur palpitant sous la rage, au point qu'elle arrivait à peine à distinguer entre ce qui était elle-même — lasse, les yeux brûlants, prête à s'écrouler d'épuisement dans la paille souillée — et ce qui, venant du cerveau du faucon, submergeait son esprit : haine, peur, désir sauvage et frénétique de sang et de liberté.
Tirant de sa ceinture son petit couteau tranchant et coupant soigneusement un morceau de la carcasse commodément posée près d'elle, Romilly tremblait sous l'effort de ne pas frapper, de ne pas tirer follement sur les longes qui l'attachaient — non, non, pas elle, le faucon — au perchoir ; impitoyables longes, qui lui coupaient les pattes.

La femelle battit follement des ailes, et Romilly, d'un sursaut convulsif, recula, lâchant le lambeau de viande qui tomba dans la paille. Romilly sentit en elle la fureur et la terreur frénétique, comme si les liens de cuir retenant le grand oiseau au perchoir la liaient elle aussi, lui coupant les pattes et lui causant une agonie de douleur... Se baissant, elle s'efforça de chercher la viande calmement, mais les émotions du faucon, inondant son esprit, la terrassèrent. Se cachant le visage dans les mains, elle gémit tout haut et s'abandonna aux émotions de l'oiseau qui devinrent partie d'elle-même, les ailes qui battaient follement, qui battaient, qui battaient... Un jour, la première fois que cela lui était arrivé, il y avait maintenant plus d'un an, elle s'était enfuie de la fauconnerie, paniquée, courant, courant, jusqu'au moment où, trébuchant et glissant, elle était tombée à une main de l'à-pic tombant de Château Faucon jusqu'aux rocs de la Kadarin, très loin au-dessous d'elle.
Elle ne devait pas laisser dominer ainsi son esprit, elle devait se souvenir qu'elle était humaine, qu'elle était Romilly Mac Aran... elle se força à respirer calmement, se remémorant les paroles de la jeune leronis qui lui avait parlé, brièvement et secrètement, avant de retourner à la Tour de Tramontana...
Extrait : « La belle fauconnière » LA ROMANCE DE TÉNÉBREUSE de Marion Zimmer Bradley

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