Je suis né dans un p'tit village
Qu'a un nom pas du tout commun
Bien sûr entouré de bocages
C'est le village de Saint-Martin
A peine j'ai cinq ans qu'on m'emmène
Avec ma mère et mes frangins.
Mon père pense qu'il y aura du turbin
Dans la ville où coule la Seine.
Refrain :
J'en suis encore à me demander
Après tant et tant d'années,
A quoi ça sert de vivre et tout,
A quoi ça sert, en bref, d'être né ?
La capitale, c'est bien joli,
Surtout quand on la voit d'Passy,
Mais de Nanterre ou d'Charenton,
C'est déjà beaucoup moins folichon.
J'ai pas d'mal à imaginer
Par où c'que mon père est passé
Car j'ai connu quinze ans plus tard
Les mêmes tracas, le même bazar.
Refrain :
L'matin faut aller piétiner
Devant les guichets d'la main d'œuvre.
L'après-midi solliciter
L'bon cœur des punaises des bonnes œuvres.
Ma mère elle était toute paumée,
Sans ses lapins et ses couvées,
Et puis, pour voir, essayez donc
Sans fric de nourrir cinq lardons.
Refrain :
Pour parfaire mon éducation
Y a la communale en béton.
Là on fait d'la pédagogie
Devant soixante mômes en furie.
En plus d'l'alphabet, du calcul,
J'ai pris beaucoup d'coup d'pied au cul
Et sans qu'on me l'ait demandé,
J'appris l'arabe et le portugais.
Refrain :
A quinze ans finie la belle vie,
T'es plus un môme, t'es plus un p'tit.
J'me retrouve les deux mains dans l'pétrole,
A frotter des pièces de bagnole.
Huit neuf heures dans un atelier,
Ça vous épanouit la jeunesse.
Ça vous arrange la santé,
Pour le monde on a d'la tendresse.
Refrain : + C'est pas fini
Quand on en a un peu là-dedans,
On y reste pas bien longtemps,
On s'arrange tout naturellement
Pour faire des trucs moins fatigants.
J'me faufile dans une méchante bande
Qui voyoute la nuit sur la lande.
J'apprends des chansons de Bruant
En faisant des croche-pattes aux agents
Refrain :
Bien sûr la maison Poulaga
M'agrippe à mon premier faux pas.
Ça tombe bien, mon pote, t'as d'la veine,
On cherche du monde pour le FLN.
J'me farcis trois ans de casse-pipe
Aurès, Kabylie, Mitidja,
Y a d'quoi prendre toute l'Afrique en grippe,
mais faut servir l'pays ou pas.
Refrain :
Quand on m'relâche, je suis vidé,
J'suis comme un p'tit sac en papier.
Y a plus rien dedans. Tout est cassé
J'ai même plus envie d'une mémé.
Quand j'ai cru qu'j'allais m'réveiller
Les flics m'ont vachement tabassé,
Faut dire qu'j'm'étais amusé
A leur balancer des pavés.
Refrain :
Les flics, pour ce qui d'la monnaie,
Ils la rendent avec intérêt
Le crâne, le ventre et les roustons,
Enfin quoi vive la Nation !
Le juge m'a filé trois ans d'caisse
Rapport à mes antécédents
Moi, j'peux pas dire que j'sois en liesse,
Mais enfin, qu'est-ce que c'est que trois ans ?
Refrain :
En taule, j'vais pouvoir m'épanouir,
Dans une société structurée.
J'ferai des chaussons et des balais.
Et j'pourrai me remettre à lire.
Je suis né dans un p'tit village
Qu'a un nom pas du tout commun,
Bien sûr entouré de bocages,
C'est le village de Saint-Martin.
Refrain :
La chanson s'appelle Tranche de vie, en fait, et pas le village de Saint-Martin, c'est la première chanson de François Béranger (1937-2003), elle date de 1970, elle est toute fraîche sortie de l'imaginaire de mai 68 : j'ai trouvé une version concert.
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