A l'école primaire, c'était mon surnom, et, sans être méchant, ce n'était pas flatteur non plus. Quartier ouvrier, et moi fils de fonctionnaire, mon père, cadre aux impôts, avait fait des études, trop tôt interrompues par une santé fragile, mais chez moi, il y avait une bibliothèque, mes parents lisaient, ils lisaient beaucoup, même. Et à table, nous étions 6, et tout, ça causait et ça apprenait à argumenter ses paroles. Mes parents aussi se méfiaient un petit peu : une fois, suite à un livre que j'avais lu en quelques jours, je me souviens que c'était un livre de Maurice Genevoix et du haut de mes neuf ans, je m'étais permis de le « conseiller » à mon père. Après l'avoir parcouru, celui-ci m'a demandé de lui en faire le résumé, et j'ai senti que je passais un test, j'ai résumé le livre et il n'a plus jamais contrôlé mes lectures après ça. Ils étaient contents que j'aime l'école, et que j'aime lire.
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A l'école, mes instituteurs étaient contents, mais en classe, je n'étais rien. Ou plutôt si, j'étais celui dont, quand vous ramenez un mauvais carnet de notes à la maison, vos parents demandent : « Et le premier, il a quelle note ? » suivi d'une baffe retentissante.
A l'école, la personne à qui était dévolue le mérite et le respect, c'était le premier en gym, et le meilleur en foot, quand ce n'était pas le même. Et tous ceux qui étaient bon en sport. Dans un milieu, que je sais aujourd'hui limité, rares étaient ceux qui fondaient un espoir sur leurs études. Dans un milieu où les études étaient le nom de leur échec à venir, les plus doués avaient l'intelligence de se faire discret. (l'un d'eux, dont j'ai pu suivre le parcours — en plus d'être excellent au foot — est devenu médecin, mais avec modestie et discrétion.
Je ne voyais pourquoi j'aurais été discret, j'avais envie de briller, et il m'arrivait, dans la solitude d'une cour où j'étais aussi très mauvais aux billes, d'amener un livre et de le lire dans mon coin, un peu parce que j'aimais lire, un peu par bravade, aussi. Il m'est arrivé de me battre, car, quelqu'un qu'on ne respecte pas, et qui est la cause de claques : « Et l'Henninger, il a combien ? », on n'hésite guère à le provoquer. Je n'étais pas un grand bagarreur, mais il faut bien apprendre à se défendre.
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Alors je suis devenu : « Studieux ». Celui qu'on n'espère pas rejoindre. Celui qui a des capacités pas normales. Plus tard, évidemment, quand je suis arrivé avec cette mémoire-là dans une classe préparatoire où 90% des élèves étaient réellement brillants, et semblaient voler là où je rampais, j'ai ressenti ce qu'ils avaient dû ressentir... Je ne me souviens même pas de la tête du premier de classe. Je suis alors devenu studieux, celui qui s'efforce de compenser ses manques par le travail...
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