Un bouchon, pendu au bout d’une ficelle, se
balance au gré du vent, sous la branche basse d’un tilleul. La Prrou le guette
et, parfois, se précipite, folle et joueuse ; mais qu’elle nous aperçoive,
et sa figure triangulaire se masque, aussitôt, de renoncement et
d’amertume : « Que fais-je ? À quels égarements frivoles
allais-je céder, moi qui ai été si
malheureuse ! Ces jeux ne sont point de ma condition, hélas, j’allais
l’oublier... »
Son fils noir, mal peigné et diabolique, elle
le couve passionnément, le caresse du geste et du seul mot qu’elle sache :
« Prrou, prrou... » mais à notre vue elle s’élance, le terrorise
d’une douzaine de taloches sévères, la patte sèche et le sourcil
intransigeant : « Voilà comment on élève les enfants trouvés, chez
nous ! »
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Admirez, comme je fais, la roublarde Prrou.
Regardez combien sa robe, ajustée et rase, imite les couleurs de la limace
grise, la rayure du papillon crépusculaire. Un triple collier de jais barre son
jabot, sobre parure de dame patronesse. Noirs aussi, les bracelets aux pattes
fines et le double rang de taches régulières qui semblent boutonner sur le
ventre la robe stricte. La Prrou est mieux que vêtue, elle est déguisée.
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Le maintien est si modeste, la toison si sobrement
nuancée, que vous n’avez peut-être pas remarqué la dureté cruelle du crâne
large, la patte redoutable et nerveuse où s’enchâssent des griffes courbes,
soignées, prêtes à combattre, la poitrine épanouie, les reins mouvants, enfin
toute la beauté dissimulée de cette bête solide, faite pour l’amour et le
carnage...
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Cette nouvelle de Colette fut publiée pour la première fois en 1913, et Colette y exerce, sans doute en parallèle aux Portraits de music-hall qu'elle écrit à la même période, son art du portrait, l'animal permettant d'être encore plus crue, cruelle et plus précise encore son observation de la nature... humaine.
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