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dimanche 13 septembre 2015

Voleur de feu (souvenir :-)

 L'anecdote remonte aux années quatre-vingt, à l'époque où j'exerçais comme ingénieur en informatique, et où j'étais fumeur. Fumeurs, nous l'étions tous, d'ailleurs, dans l'entreprise où je travaillais. 
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 J'avais hérité d'un collègue très juvénile et très résistant, en matière de travail. Il prenait un malin plaisir à me mettre des bâtons dans les roues, puis, épreuve après épreuve, nous avions appris à nous connaître, il avait appris à faire ce que je lui demandais sans trop râler, mais toujours avec une résistance qui me surprenait. Le besoin de dire à ses collègues : « Lui, il me donnera jamais d'ordre ! ».
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 Sur un point, par contre, il me prenait de cours, systématiquement. À un moment, je portais une cigarette à ma bouche, et je ne trouvais pas mon briquet. Je suis désordonné, mais je fais attention à mes outils, or, mon modeste briquet, un briquet en plastique, courant, bon marché, était mien et j'y tenais. 
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 Les premières fois, j'ai perdu cinq à dix minutes à le chercher, avant de me rendre à l'évidence : il existait une probabilité qu'il m'ait été volé. Et je n'avais qu'un seul suspect : le collègue s'appelait Fred. Donc Fred protestait avec véhémence, m'accusant de l'accuser de voleur, puis il reculait pas à pas, s'énervait, multipliait les fausses fuites : 
 — Non, je ne suis pas un voleur.
 — Tu n'as pas de preuve.
 — Et puis je suis occupé, tu me déranges ! 
 Il m'énervait, je me mettais en colère parce qu'il me faisait perdre du temps, tout en sachant que c'est ce qu'il cherchait, une dispute. Donc j'appris à résister, à me contenir, et à insister jusqu'à ce qu'il consentît à fouiller les poches de sa veste et d'y trouver mon briquet, bien au chaud, qu'il me rendait, goguenard. Le fait est que je ne l'ai jamais pris sur le fait et je suppose qu'il en tirait fierté.
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 Le jeu dura longtemps. À compter de la vingt- ou trent-ième fois, il m'avoua qu'il n'avait jamais acheté un seul briquet et même que, lorsqu'il se rendait à une soirée, il revenait de la soirée avec une collection de cinq à six briquets.
 Le jeu semblait l'amuser follement, en fait.
 Symboliquement, ça me gênait qu'il tentât ainsi de me dérober « mon feu » : quand on se pique d'avoir lu « La psychanalyse du feu » de Gaston Bachelard, ça prend du sens et je n'aimais pas qu'il touche mon feu, même avec chaleur ! Également je me rendis compte que c'était un geste inconscient de sa part, il ne se voyait même pas voler le briquet.
 Le jeu prit une tournure usuelle, et, les derniers mois, il suffisait qu'il m'entende tapoter mes papiers répandus sur la table pour qu'il plonge aussitôt la main dans sa poche de veste et qu'il me tende, avec un petit sourire crispant, mon bien. Nous avions pris l'habitude d'en rire, lui de ne plus nier, et moi de ne plus perdre de temps à chercher.
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 Il y eut une fin, mais je ne me souviens plus bien de la circonstance. J'ai quitté cette boite pour refaire des études, et j'ai saisi ce moment pour offrir à chacun un petit cadeau de départ. Pour Fred, j'eus une idée très simple et que je trouvais très amusante : devant les collègues, je lui remis un paquet cadeau, qu'il ouvrit avec des gestes d'enfant.
 Je lui avais offert un briquet de marque, en métal, rechargeable, un bel objet qui s'allumait par tous les temps et dont on pouvait même changer la pierre à fusil et le ressort ! et j'y avais joint une recharge, pour ne pas ménager ma peine. Un bel objet, un joli cadeau et une blague en même temps.
 Mais, alors que je me marrais, j'ai vu la déception se peindre sur son visage, qui s'est fermé : j'aurais voulu lui faire de la peine, je n'aurais pas pu faire mieux. Là où j'avais ri en me disant que ce serait amusant de transformer le vol en cadeau, un don du feu, je n'eus un retour qu'un grand froid, il me remercia sèchement.


 En conclusion, je ne suis resté encore trois mois dans cette société, et comme j'étais fauché et qu'ils m'aimaient bien, j'y suis retourné à Noël et tout l'été suivant : plus jamais Fred ne m'a volé mon feu.

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