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dimanche 22 novembre 2015

Mémoire des C.A.L. à Orléans

Dans les années quatre-vingt, les Maisons de Jeunes et de la Culture qui avaient essaimé sur tout le territoire à partir de 1948, et que j'ai connues dans les années soixante-dix, ont connu un déclin. À Orléans, en particulier, cela s'appelait des C.A.L., Centre d'Activités et de Loisirs, je suppose. Les C.A.L. ont été fermés, au nom de la vertu, de l'orthodoxie et de la fermeté de principe, de la philanthropie comme disait Dickens.
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Installés dans les quartiers difficiles, ils contribuaient depuis des années, par le biais d'activités culturelles dans les quartiers, et surtout grâce à la médiation d'animateurs dont le dévouement était sans limite à  la meilleure insertion des populations immigrées de fraîche date. Je me souviens d'un copain au collège, qui me racontait ses ateliers Photo, ce qui ne l'empêchait pas de temps en temps, lui et sa bande, de tout casser ; mais les animateurs infatigables poussaient une gueulante, puis ils remontaient les ateliers, réparaient les matériels cassés et je ne peux m'empêcher de nourrir la certitude que ces activités gratuites, assez coûteuses — faire de la photo en argentique coûtait cher —  dans des quartiers où les enfants étaient condamnés à effectuer des études brèves et hésitaient entre insertion et une délinquance, plus facile, plus aventureuse, ont contribué pour une bonne part à l'intégration de ces générations d'enfants d'immigré qui ont grosso modo mes âges : de cinquante à soixante ans. Celui que j'ai connu, très croyant, a connu des errances dans les années quatre-vingt dix : un jour, j'ai eu de ses nouvelles, il avait fini par s'intégrer, et il était revenu à Châlons assister son père qui était en train de mourir...
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Dans les années quatre-vingt, il est devenu de bon ton de flétrir les animateurs, on les a surnommés : les « socio-cu », je me souviens d'un dossier de l'Événement du Jeudi qui leur avait été consacré où on leur reprochait, sur le ton de l'humour, mais difficile de ne pas voir là une campagne de dénigrement, de ressembler à leur caricature : barbus, chaussés de Pataugas, un peu rude, un peu guitareux, écrivant des chansons à texte engagées (ça faisait beaucoup rire, ça), munis d'un gros trousseau de clés (les M.J.C. étaient cloisonnées en de nombreux compartiments) et de grosses idées idiotes : la générosité, la fraternité, l'égalité, des gauchistes, des inutiles, des parasites. C'est pas eux qui allaient fabriquer à la chaîne des ouvriers dociles et qui savent fermer leur gueule au bon moment.
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J'ai connu en 1982 la directrice d'un C.A.L. à Orléans, dans le quartier des Blossières. Installés au cœur des H.L.M., où se côtoyaient population ouvrière locale et population immigrée plus ou moins récente, les C.A.L. servaient aussi de lien social, ils offraient un local à qui voulait ouvrir un atelier, ou un accueil, ou une réunion de femmes. 
 Ils étaient fondés surtout sur une conscience sociale qui disait que si on n'était pas sûr qu'ils étaient utiles, on était sûr que c'était un aimable foutoir, où se retrouvaient nombres d'activistes, une porte à laquelle pouvaient frapper les animateurs sociaux, ou les gens comme moi, qui cherchaient de l'aide pour leurs projets de film ou de théâtre...
J'étais membre d'une association d'artistes, la S.A.V.A.T, ça ne s'invente pas, et la directrice, qui nous aimait bien, nous prêtait les locaux le soir pour y répéter une pièce de théâtre... Ça ne coûtait rien à personne, puisque les locaux était fermés le soir, mais ça permettait des côtoiements, puisque nous étions lancés dans des études supérieures...
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 La journée, il y avait des enfants, ça courait partout, il y avait les ateliers, il y avait des bagarres aussi, on était loin d'un paradis pour Bisounours, et c'était aussi son intérêt, les activités culturelles aidaient à l'intégration des adultes et des petits.
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Et puis un jour, des politiques et des économistes vertueux, pétris d'efficacité, ont fait remarquer que ces activités à perte coûtaient cher à la collectivité, et qu'il convenait de revenir à une pratique vertueuse qui mette fin au gaspillage que constituaient ces Centres. La première mesure qu'ils ont mise en place a consisté à rendre payant les ateliers.
 Or ces ateliers, placés au cœur de quartiers difficiles, vivaient de leur gratuité : les enfants, les adultes ont disparu en cessant de fréquenter ce C.A.L. où leur manque de moyens était une honte. 
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 Ensuite, les hommes politiques vertueux ont liquidé les animateurs, puis les centres. Je n'en ai même pas trouvé la mémoire sur Internet.
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D'autres hommes politiques vertueux n'ont pas jugé bon de les rétablir, ils préféraient augmenter les mesures de répression : police municipale, caméras, interdit de circulation pour les mineurs le soir...
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Alors, qu'ils s'appellent Douffiagues, Jean-Pierre Sueur ou Serge Grouard, ils se ressemblent tous un peu et dans notre pays meurtri par des français qui n'ont connu que la haine et qui nous la renvoient avec tant de violence, je ne peux m'empêcher de penser qu'il y a de fort chères économies : ah ça, on est loin des théories de Fitch Ratings, Moody's et Standard and Poors ! Eux, du moment qu'il y a une bonne dictature pour mettre au pas tous ces fainéants, ils distribuent les bonnes notes, tandis que la valeur d'un atelier photo qui aurait permis d'aider un enfant à se sortir d'une image de futur raté et de lui offrir une vie digne ? Ils pensent que c'est du gâchis...



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