Auteur, écrivain, romancier : quel que soit
le titre que j’accroche à ma boutonnière, aucun ne convainc. Les artistes ont
un statut à part, mais l’écrivain n’est pas, n’a jamais été et ne sera sans
doute jamais un artiste. Ni un intermittent du spectacle, ni un érudit (les
érudits aiment à regarder depuis leur hauteur les auteurs qui sont trop
nombreux, tout le monde vous le dira).
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Le poète, parfois, mais le romancier, non. Ce
type qui prétend maîtriser le langage et qui l’a en général appris à son corps
défendant, du moins en France, n’a pour seul horizon que d’œuvrer, tâcheron qui
remet cent fois son ouvrage sur le métier, qui s’accroche à sa cafetière comme
un naufragé à une poutre. Pendant longtemps, j’ai eu aussi le cendrier
débordant. Une amie que j’avais hébergée m’a dit, un soir où j’avais réécrit un
scénario en guise de « distraction » : « Tu te serais vu fumer ! Tu allumais
clope sur clope ! » Et c’est vrai que, lorsque j’émergeai de ces
séances d’écriture harassantes, je constatai le cendrier qui tanguait sous une
mer de cendres un peu ébahi : ça n’était pas possible que j’ai fumé tout
ça.
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Un auteur, un vrai, le
plus courant, est quelqu’un qui ne vit pas de ses droits d’auteur, qui s’accroche
à son travail et qui consacre le reste de son temps, ce que d’autres appellent
leurs « loisirs » à cette chose que lui sait être une passion, quelque chose
qui vous fait souffrir mais qu’on aime d’un amour assez profond pour en
accepter la peine. Mais la plupart des gens me disent que j'en fais trop, et que ce n'est qu'un hobby, fort léger au demeurant (surtout de la part des gens qui ne lisent pas, et pour qui l'écriture est un loisir vraiment futile) et que l'écriture ne peut pas m'être d'une telle valeur.
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Un syndicaliste est une
personne louche : quelle que soit la fonction que j’accroche à ma
boutonnière, elle ne convainc pas. Si j’aimais vraiment mon métier, tout le monde vous
le dira, je ne me mêlerais pas de ce qui ne regarde que ma direction. En tant
que syndicaliste, je ne suis pas, n’ai jamais été et ne serai sans doute jamais « honnête » : ni pour la direction, ni pour les collègues. Trop engagé pour les uns, pas assez pour les autres.
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Le militant politique, oui, là où je
travaille, il y en a quelques uns, principalement à la rédaction et ils accumulent du respect pour les théories qu'ils défendent. Mais le petit syndicaliste ? Celui qui pense que l’essentiel est de
militer là où il se trouve, qui n’a pour seul horizon que de servir ses collègues, peut-il sincèrement tenir un objectif aussi petit ? Comment être sincère sans discours grandiloquent ?
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Dans le temps, être rouge échauffait les sangs, et donnait
soif : les rouges buvaient blanc sur rouge et rouge sur blanc sans faire
de manières. Je ne bois plus depuis longtemps, et je n’ai
jamais aimé me saouler au travail. Le vrai syndicaliste devient ce qu’on
appelle dans notre jargon syndical un « politique », à ne pas confondre avec les politiques ci-dessus : il y a politique et « politique », c'est-à-dire quelqu’un qui accumule
des mandats, délégué du personnel, représentant au Comité d'Entreprise ou conseiller aux Prud’hommes, mandats qui souvent finissent par prendre le pas sur le métier initial.
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Mais, aujourd'hui, alors que nous sommes en fin d'un conflit douloureux, le syndicaliste est donc celui dont tout le
monde attend : va-t-il va faire grève ? Si je fais grève, il arrive
que ce refus de travail parvienne à gripper toute la station : dans ce cas
là, je suis ce privilégié égoïste qui profite de sa minorité bloquante pour empêcher à lui seul, cent vingt-huit
honnêtes travailleurs de faire leur métier, enfin, ça, c’est ce que disent les
cadres de la rédaction et de la technique.
Et puis il y a
tous ces gens engagés qui ne donnent pas un centime à personne et qui ne s'engagent dans rien, gens de gauche qui attendent que je fasse grève, car je les
soulagerais de cette envie de faire grève qui les démange, qui les torture, mais
ils ne peuvent pas, eux, car ils sont, eux, des travailleurs sérieux, des travailleurs modestes, et ils ont le devoir de poursuivre leur carrière, eux !
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Ni écrivain, ni syndicaliste, à peine cameraman, je n'ai rien à accrocher à ma boutonnière et n'en ai ni dépit ni peine. Juste le type qui nourrit la chatte qu'il a adoptée l'an passé ! —, qui change sa litière tous les jours, et qui se fait engueuler à son retour parce qu'il l'a laissée seule tout le jour.
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