– Raymond Milési –
Dans quelles circonstances avez-vous conçu Derrière la porte amarante ?
L’idée était de mêler science-fiction et fantastique. Ce qui m’a préoccupé d’abord, c’était cette question de « passage », d’ouverture à forcer pour mener ailleurs. Puis la vie de famille père-fille (malade) s’est imposée. J’ai alors développé toute l’histoire. À la fois quotidienne et délirante, c’est pourquoi je dis que c’est du « réalisme fantastique ». Comme j’écris pour le lecteur, en cherchant à obtenir son adhésion, il me fallait une écriture assez sincère, qui n’en rajoute pas.
On arrive ainsi à cette vie après la mort, sur un ton plutôt relax, avec des personnages créés pour garder leur libre arbitre dans une situation cinglée.
Le personnage de Richard semble hanté par une intense nostalgie de l’enfance, cela ne l’empêche-t-il pas de grandir ?
Je pense le faire agir en adulte chaque fois qu’il doit le faire. Et sa fille, en plusieurs occasions, lui permet de garder la tête dans le bon sens, de ne pas perdre les pédales. Je ne l’ai pas voulu « nostalgique de l’enfance », simplement il a cette chance de ne pas l’avoir oubliée lorsqu’il est en mode réflexion ! De ne pas avoir attrapé l’adultite, comme dit San-Antonio. Dans le cas contraire, il aurait sans doute été recalé à son examen. De mort.
Julie, sa fille, est le personnage central qui irrigue tout le récit, tout en restant toujours enveloppée de mystère. Est-elle un modèle ?
Julie est avant tout ici une fillette malade, et condamnée. C’est là-dessus que va s’appuyer l’action. Elle-même se découvre au fil des pages, et c’est surtout chez elle que son père Richard trouve la force de braver l’adversité. Son rôle « enfle » petit à petit, du moins c’est ainsi que je l’ai voulu. Mais je n’en ferai pas le personnage central. Le héros, c’est Richard, avec sa volonté et sa persévérance. Et son cerveau.
Comment avez-vous conçu le personnage d’Anne-Marie, l’institutrice de Julie ?
J’ai bâti mes personnages à partir du scénario, avant de les lancer sur la piste. Pour l’équilibre, il me fallait une jeune femme positive, décidée, qui tiendrait le rôle d’adjuvant du héros dans cette aventure (relire le “schéma actantiel” et les “fonctions de Propp”). Ou plutôt d’adjuvante. Genre contradiction bienveillante. Un personnage un peu plus sensé peut-être, mais on sait que les sentiments s’en accommodent. Institutrice, ce n’était pas une nécessité, mais vu que Julie était en plein trimestre scolaire, ça tombait bien pour nouer une relation. Et puis j’ai été enseignant : question décor, c’est toujours mieux pour le lecteur de parler de ce qu’on connaît.
Envisagez-vous d’écrire une suite à Derrière la porte amarante ?
Non. C’est bouclé, terminé. Je pense qu’il ne peut pas y avoir de suite. « Mané, Thécel, Pharès », comme on dit dans la Bible, lors du festin de Balthazar. La porte amarante est refermée.
Est-ce que votre parcours professionnel a influé sur votre récit, ou est-ce l’enfance, ce royaume d’amnésie qui a guidé votre réflexion ?
Je ne crois pas avoir puisé dans mon parcours professionnel pour imaginer le roman (sauf ce décor scolaire, dont je parlais). Ce n’est pas non plus le « royaume de l’enfance » qui a présidé au récit, plutôt encore une fois la maladie de la fillette, qui provoque chez son père l’obsession de la sauver ! Ce moteur le fait foncer dans des directions inattendues, plus loin que la logique. Toutes proportions gardées, ça me rappelle un peu Orphée parti aux enfers rechercher Eurydice. Pas de lyre ici, mais un nounours dépenaillé. S’il devait y avoir une source à chercher, elle serait plutôt dans la mythologie.
Y a-t-il des œuvres sur l’enfance qui vous ont marqué ? Peter Pan ? Pinocchio ? Alice ?
Peter Pan, Pinocchio, non. Alice au Pays des Merveilles, et surtout De l’autre côté du miroir, oui ! Un chef-d’œuvre de non-sens et poésie. Je dois reconnaître que ce livre m’a marqué. Ce simple objet même, le miroir ! me fascine. J’ai l’impression de m’enfoncer de l’autre côté, comme en regardant La jeune fille à la perle de Vermeer. Ce n’est pas pour rien qu’une des plus belles nouvelles de SF que j’ai lues reste Tout smouales étaient les Borogoves, de Lewis Padgett, directement inspirée de Lewis Caroll.
vous sert de guide ? Quel auteur vous a le plus marqué ?
Je ne peux pas dire qu’un auteur me sert de guide. Côté fantastique, j’ai bien aimé certains textes classiques, mais surtout Gérard de Nerval, entre mystère et poésie (Aurélia). Le « policier fantastique » me va bien aussi : j’ai dévoré les Harry Dickson (de Jean Ray) et autres aventures mystérieuses… Toutefois, je connais bien davantage la science-fiction que le fantastique.
À part Robert Heinlein (Une porte sur l’été, Citoyen de la Galaxie, Double étoile…) que je ne cesse de relire, ou encore Simak, Robert Young, Poul Anderson (La patrouille du temps)…, les auteurs qui émergent chez moi sont plutôt classiques : La Fontaine, La Bruyère, Nerval (déjà cité), ou polars : Erle Stanley Gardner, Lilian Jackson Braun…, et le plus grand : San-Antonio.
Votre œuvre comporte des nouvelles (citons Extra Muros, L’heure du monstre, Le sommeil de la libellule, qui ont toutes les trois remporté le prix Rosny Aîné). La nouvelle est-elle un territoire de liberté, moins concerté que le roman ?
Oui, c’est surtout plus court à maîtriser. J’ai écrit beaucoup de nouvelles en visant la fin dès le début. C’est une forme littéraire « à chute », assez souvent, comme ces trois Rosny Aîné. La nouvelle n’est pas du tout un petit roman. Le roman est une construction de longue haleine, une épreuve, presque douloureuse. La nouvelle, je peux l’écrire de façon linéaire (avant de la retravailler bien entendu) ; le roman, pas possible : je l’écris en spirale, longtemps, avec de constants retours, des reprises, des changements, sans oublier la dictature des personnages, qui ont une vie, et me tirent par la manche.
Vous êtes délégué des Conventions de science-fiction françaises : d’où vient cet engagement ? Pourquoi les conventions, qui sont plus confidentielles, par rapport aux grands salons ?
Je me suis engagé dans le suivi de la Convention nationale parce qu’on me l’a demandé ! Ce sont les fans qui l’ont souhaité. Suite à divers échecs, ils ont voulu des règles, un suivi, appuyé par une Charte. J’ai fait le travail, il a été approuvé, et je suis toujours là. Cette rencontre annuelle est avant tout amicale, c’est même sa marque essentielle à mon avis, et elle doit le rester. Et je n’étais pas seul : n’oublions pas le rôle primordial joué par Joseph Altairac jusqu’à sa mort.
Les salons ou festivals n’ont rien à voir avec ce suivi. Ils ne dépendent pas de la Charte ; chacun a son originalité, son identité, et c’est très bien comme ça ! Mon but est d’aider les fans à avoir chaque année une bonne « réunion de famille » : la Convention.
Votre goût pour la fiction semble concurrencé par une autre passion, pour Frédéric Dard, dit San-Antonio. Depuis quand ? Et qu’est-ce qui vous a conduit sur l’écriture d’essai et de biographies ?
Je n’ai pas de passion pour la SF : elle m’intéresse, et j’aime beaucoup le milieu. Pour San-Antonio, oui ! Depuis les années 60, il a accompagné ma vie. J’ai vite été sidéré par la qualité, l’efficacité de son écriture, son impact sur les lecteurs. San-Antonio n’écrit pas que du polar, il écrit dans le polar, à un niveau inégalé. Nous parlons de littérature. Par la suite, j’ai rencontré d’autres lecteurs – parmi ses centaines de milliers – qui partageaient cette évidence et cette ferveur. La critique a suivi avec retard, mais n’a pu s’empêcher de saluer l’un des plus grands romanciers du XXe siècle. J’ai publié deux livres sur Frédéric Dard / San-Antonio, et je collabore au Monde de San-Antonio. Je n’écris pas du tout à sa manière – Seigneur non, c’est impossible ! – mais s’il y a quelqu’un qui m’a remué en profondeur, c’est bien lui.
Quels sont vos premiers livres ? (le premier, celui que vous adorez sans oser l’avouer).
Le premier, je ne vois pas… Enfant, je lisais énormément. Il y a eu bien sûr les Petits Livres d’Or, mêlés d’illustrations. Mais mes premières lectures « agissantes » étaient des BD grand format de l’époque, avec “du-texte-en-dessous” : Bibi Fricotin, et surtout les Pieds Nickelés ! les rois absolus de mes plongées de jeune lecteur, et même après. Au rayon des « vrais » premiers livres, je citerai Les aventures de Tom Sawyer de Mark Twain. Et Les contes et légendes mythologiques d’Émile Genest… Et déjà beaucoup de poésie.
Vous souvenez-vous de votre apprentissage de l’écriture ?
Ça a démarré très tôt. J’inventais des histoires. Je faisais des petites BD avec du texte… L’orthographe et la grammaire me sont rentrés dans la tête à toute vitesse, comme si elles m’attendaient. J’ai rapidement écrit des poèmes, comme tout le monde, puis des chansons, paroles et musique… J’ai pondu mon premier roman – pour moi seul – vaguement romantique, qui se termine par le poème Fantaisie de Nerval, vers vingt ans. Je crois que je suis né écrivain.
Et une œuvre ou un musicien ?
Je suis fan de l’Ouverture de La Bohème de Puccini, ou sa reprise en chanson dans l’opérette (Quando m’en vo), par Aida Garifullina. J’explose aussi en écoutant Luciano Pavarotti dans Nessun’ dorma, toujours de Puccini (Turandot). Si la race humaine peut atteindre ce niveau-là, elle est peut-être sauvable.
Mais au-dessus de tout, il y aura toujours les Rolling Stones qui ont mis ma vie en musique depuis une soixantaine d’années. Jumping Jack Flash, Time is on my side, Lady Jane, Stop breaking down… Et « Exile on main street » reste le plus grand album de l’histoire du rock. Pas un jour sans les Stones ! Dans Derrière la porte amarante, j’évoque d’ailleurs leur chanson Memory Motel.
L’œuvre importante de l’adolescence, littéraire ou autre ?
Le grand Meaulnes d’Alain-Fournier. Un livre dont l’envoûtement ne m’a jamais quitté. Peu après l’adolescence, je suis tombé sur Le matin des magiciens de Pauwels et Bergier, qui m’a bien réveillé les neurones, un peu comme les ouvrages pseudo scientifiques de Robert Charroux ; certes, il y avait pas mal de trucs un peu fumeux et ambigus là-dedans, mais quelle secousse pour l’imaginaire ! Et n’oublions pas le mensuel Hara-Kiri, qui a « réveillé » une bonne partie des ados de ma génération, moi compris.
Bernard Henninger






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