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dimanche 26 mars 2017

La langue d'André Chénier

      Cela fera bientôt deux mois
      Que la maladie et la fatigue
      Ont décidé de prendre en main
      Esprit, rêv'rie, humour, amour,
      Et changé mes habitudes
      Pour un ensorcelant voyage :
      Elles ont tant fait valser mes nuits
      Que j'ai quelque peu négligé la poésie...
                              -
.
André Chénier, donc, signe mon désir de renouer avec la poésie, au gré d'un petit volume trouvé au Marché, qui me fait souvenir que j'ai étudié un de ces poèmes plein de feu sur la Terreur, une nuit d'août avec une charrette de condamnés et que je n'ai pas retrouvé, peut-être l'ai-je un peu rêvé ? Voici deux poèmes, une adaptation d'une fable de La Fontaine et  en bonus « La Jeune Tarentine » qui est le plus célèbre :
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Un jour le rat des champs, ami du rat de ville,
Invita son ami dans un rustique asile.
Il était économe et soigneux de son bien ;
Mais l'hospitalité, leur antique lien, 
Fit les frais de ce jour comme d'un jour de fête.
Tout fut prêt : lard, raisin, et fromage, et noisette.
Il cherchait par le luxe et la variété
À vaincre les dégoûts d'un hôte rebuté,
Qui, parcourant de l'œil sa table officieuse,
Jetait sur tout à peine une dent dédaigneuse.
Et lui, d'orge et de blé faisant tout son repas,
Laissait au citadin les mets plus délicats.
                       *
« Ami, dit celui-ci, veux-tu dans la misère
Vivre au dos escarpé de ce mont solitaire,
Ou préférer le monde à tes tristes forêts ?
Viens ; crois-moi, suis mes pas ; la ville est ici près :
Festins, fêtes, plaisirs, y sont en abondance.
L'heure s'écoule, ami ; tout fuit, la mort s'avance :
Les grands ni les petits n'échappent à ses lois ;
Jouis, et te souviens qu'on ne vit qu'une fois. »
                       *
Le villageois écoute, accepte la partie :
On se lève, et d'aller. Tous deux de compagnie,
Nocturnes voyageurs, dans des sentiers obscurs
Se glissent vers la ville et rampent sous les murs.
La nuit quittait les cieux quand notre couple avide
Arrive en un palais opulent et splendide,
Et voit fumer encor dans des plats de vermeil
Des restes d'un souper le brillant appareil.
L'un s'écrie, et, riant de sa frayeur naïve,
L'autre sur le duvet fait placer son convive,
S'empresse de servir, ordonner, disposer,
Va, vient, fait les honneurs, le priant d'excuser.
                       *
Le campagnard bénit sa nouvelle fortune ;
Sa vie en ses déserts était âpre, importune :
La tristesse, l'ennui, le travail et la faim.
Ici, l'on y peut vivre ; et de rire. Et soudain
Des valets à grand-bruit interrompent la fête.
On court, on vole, on fuit ; nul coin, nulle retraite.
Les dogues réveillés les glacent par leurs abois.
Alors le campagnard, honteux de son délire :
« Soyez heureux, dit-il, adieu, je me retire,
  Et je vais dans mon trou rejoindre en sûreté
  Le sommeil, un peu d'orge et la tranquillité. »
                       ***
André Chénier (1732)1794) offre une vision toute personnelle, de la fable, avec ce rat de ville à la fade vision épicurienne, et somme toute moderne, d'une vie qui ne serait que plaisir dont on feindrait d'ignorer la violence, et le rat des champs au destin duquel l'auteur adhère, avec ce rêve d'une vie tranquille qui ne fut pas la sienne... Il mourut sur la guillotine, le 7 Thermidor, deux jours avant la fin de la Terreur, et l'anecdote dit qu'il lisait Sophocle en attendant son tour, et qu'au moment de monter, il ferma son livre, non sans avoir corné la page.
                       ***
LA JEUNE TARENTINE
                       *
Pleurez, doux alcyons ! ô vous, oiseaux sacrés, 
Oiseaux chers à Téthys, doux alcyons !
Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine !
Un vaisseau la portait aux bords de Camarine :
Là, l'hymen, les chansons, les flûtes, lentement
Devaient la reconduire au seuil de son amant.
Une clef vigilante a, pour cette journée,
Sous le cèdre enfermé sa robe d'hyménée,
Et l'or dont au festin ses bras sont parés,
Et pour ses blonds cheveux les parfums préparés.
Mais, seule sur la proue, invoquant les étoiles,
Le vent impétueux qui soufflait dans ses voiles
L'enveloppe : étonnée et loin des matelots,
Elle tombe, elle crie, elle est au sein des flots.
                       *
Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine !
Son beau corps a roulé sous la vague marine.
Téthys, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher,
Aux monstres dévorants eut soin de le cacher.
Par son ordre bientôt les belles Néréides
S'élèvent au-dessus des demeures humides,
Le poussent au rivage, et dans ce monument
L'ont au cap du Zéphyr déposé mollement ;
Et de loin, à grands cris appelant leurs compagnes,
Et les nymphes des bois, des sources, des montagnes,
Toutes, frappant leur sein et traînant un long deuil,
Répétèrent, hélas, autour de son cercueil :
« Hélas, chez ton amant tu n'es point ramenée,
Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée,
L'or autour de ton bras n'a point serré de nœuds, 
Et le bandeau d'hymen n'orna point tes cheveux. »
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