Je reproduis le recours qui vient d'être déposé au conseil d'état, par le collectif Droit du Serf, contre le décret d'application de la loi sur les livres indisponibles : « Le 2 mai, notre avocat a déposé au Conseil d’État un Recours pour Excès de Pouvoir contre le décret publié au JO le 1er mars 2013 portant application de la loi du 1er mars 2012 sur la numérisation des œuvres indisponibles du XXe siècle.
Nos arguments sont solides. Le travail réalisé par Me Stéphanie Delfour et Franck Macrez est irréprochable. Néanmoins le combat sera rude, s’étalera sur des mois et il est impossible de préjuger du résultat. Ce qui est certain, comme nous le répétons depuis plus d’un an sans être entendus ni pris au sérieux, c’est que nous ne lâcherons pas. Nous tenons à remercier vivement tous ceux – chacun se reconnaîtra – qui ont donné de leur temps, de leurs compétences ou de leur porte-monnaie pour la mise en œuvre de cette action, ainsi que tous ceux qui n’ont pu nous soutenir que moralement, faute d’être les millionnaires libres de toute contrainte que certains médias laissent accroire.
NB : Lors du dépôt du REP, quelques heures avant la deadline, aucun autre recours n’avait été formé. S’il est évident que la SGDL, mouillée jusqu’au cou dans l’élaboration de cette loi et dans la promotion d’icelle et de ses conséquences, n’allait pas se tirer une balle dans le pied, c’est pour le moins surprenant de la part d’autres associations, notamment d’auteurs, qui ont pourtant, parfois, exprimé des critiques acerbes contre les aberrations de l’usine à gaz que le décret instaure. Nous espérons néanmoins que certaines d’entre elles choisiront de nous appuyer ou de nous rejoindre dans notre requête.
Les capacités juridiques du Droit du Serf étant limitées par sa situation d’association de fait, la requête a été effectuée au nom de deux d’entre nous (Sara Doke et Ayerdhal), dont l’appartenance au collectif est dûment mentionnée.
Cette requête porte sur les multiples violations de la loi que compte le décret, contraire à la Convention de Berne, au Traité de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), au droit de l’Union européenne, ainsi qu’à la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il n’est en outre pas conforme à la loi du 1er mars 2012 (sic) :
- En prenant pour objet l’exploitation numérique des livres indisponibles, le décret comme la loi font fi du principe essentiel de la protection du droit d’auteur énoncé par la Convention de Berne (articles 2.1, 2.5) qui, se référant à la seule création immatérielle (intellectuelle), induit que la propriété corporelle est indépendante de la propriété incorporelle. En d’autres termes : on ne numérise (et on n’exploite) pas un objet-livre, mais une œuvre de l’esprit.
- En fixant des procédures pour que les titulaires de droits d’auteur puissent s’opposer à l’inscription de leurs livres dans la base de données des indisponibles et à la gestion collective de leurs droits d’exploitation numérique, le décret organise une formalité prohibée par la Convention de Berne (art.5.2) et le Traité de l’OMPI (déclaration commune sur l’article 12).
- En ne prévoyant pas qu’une autre personne que l’auteur puisse faire jouer son droit moral, le décret exclut les héritiers du mécanisme mis en place, en complète contradiction avec la Convention de Berne (art. 6 bis et 7 § 1) et la tradition juridique française qui font du droit moral un droit perpétuel (art. L 121-1 du CPI).
- En contraignant l’auteur à apporter la preuve qu’il est seul titulaire de ses droits, le décret et la loi contreviennent au principe de présomption de titularité de l’auteur sur son œuvre, violant ainsi la Convention de Berne (art. 15.1) et la directive 2004/48/CE (art. 5) du Parlement européen. Violation d’autant plus grave qu’elle impose à l’auteur une « preuve diabolique » puisqu’il lui revient de prouver un fait négatif : l’absence de cession des droits numériques.
- Le décret, comme la loi qu’il applique, est non-conforme au « test en trois étapes » prévu par la Convention de Berne, l’accord sur les ADPIC, le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur et la directive européenne 2001/29. En effet, le dispositif porte atteinte à l’« exploitation normale » de l’œuvre et n’a pour effet que de faciliter l’acquisition des droits numériques par l’éditeur sans obtenir le consentement de l’auteur ; or, si le livre est qualifié d’indisponible, c’est que la résiliation de plein droit pour défaut d’exploitation pourrait opérer. En outre, puisque seule la défaillance de l’éditeur provoque l’indisponibilité d’une œuvre, l’auteur ne devrait pas avoir à partager le fruit de l’exploitation numérique de celle-ci avec lui. Cela cause un « préjudice injustifié » à ses « intérêts légitimes ».
- Le décret et la loi qu’il applique créent une nouvelle exception au droit d’auteur : cela contrevient à la directive 2001/29 (considérant 32) contenant une liste exhaustive des exceptions et limitations au droit de reproduction et au droit de communication au public et à son objectif d’harmonisation visant à assurer le bon fonctionnement du marché intérieur.
- Puisque la société de gestion agréée est investie d’une mission d’instruction, impliquant une interprétation du droit et des faits qui lui sont soumis, et dispose d’une faculté de rejet de l’opposition de l’auteur, donc du pouvoir d’instruire les demandes d’oppositions, il résulte qu’elle constitue un tribunal au sens de la Convention européenne des droits de l’homme et qu’elle doit respecter l’exigence d’impartialité. Or, c’est une véritable partialité, assimilable au conflit d’intérêt, qu’instituent la loi et le décret. Partialité subjective de par la composition paritaire de la société de gestion, au sein de laquelle l’éditeur d’origine du livre est à la fois représenté et représentant, et de par l’intérêt propre de la société de gestion. Partialité objective de par la constitution d’un comité scientifique, en majorité paritaire entre auteurs et éditeurs, qui établit la liste des indisponibles figurant dans la base de données de la BnF, au sein duquel peuvent figurer des personnes appelées à juger de l’opposition au registre, voire, comme cela a déjà été le cas (cf. François Gèze, PDG des éditions de la Découverte), de favoriser leur production dans l’établissement de la liste. L’article 6 § 1 de la Convention EDH n’est pas respecté.
- Le décret d’application n’est pas conforme au texte législatif, puisqu’il stipule que la liste des livres indisponibles est arrêtée par un comité scientifique quand la loi disposait que toute personne peut demander à la BnF l’inscription d’un livre dans la base de données. On voit bien ici que, loin de favoriser l’accès du public à des livres indisponibles, il s’agit en réalité de permettre aux éditeurs de bénéficier de l’exploitation numérique au mépris des droits d’auteur.
Nos arguments sont solides. Le travail réalisé par Me Stéphanie Delfour et Franck Macrez est irréprochable. Néanmoins le combat sera rude, s’étalera sur des mois et il est impossible de préjuger du résultat. Ce qui est certain, comme nous le répétons depuis plus d’un an sans être entendus ni pris au sérieux, c’est que nous ne lâcherons pas. Nous tenons à remercier vivement tous ceux – chacun se reconnaîtra – qui ont donné de leur temps, de leurs compétences ou de leur porte-monnaie pour la mise en œuvre de cette action, ainsi que tous ceux qui n’ont pu nous soutenir que moralement, faute d’être les millionnaires libres de toute contrainte que certains médias laissent accroire.
NB : Lors du dépôt du REP, quelques heures avant la deadline, aucun autre recours n’avait été formé. S’il est évident que la SGDL, mouillée jusqu’au cou dans l’élaboration de cette loi et dans la promotion d’icelle et de ses conséquences, n’allait pas se tirer une balle dans le pied, c’est pour le moins surprenant de la part d’autres associations, notamment d’auteurs, qui ont pourtant, parfois, exprimé des critiques acerbes contre les aberrations de l’usine à gaz que le décret instaure. Nous espérons néanmoins que certaines d’entre elles choisiront de nous appuyer ou de nous rejoindre dans notre requête.
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