J'ai trouvé ce livre hors du commun sur la brocante des boulevards. Je vous propose de commencer par le feuilleter :
« C'est l'avion qui me réveilla, il devait nous survoler depuis un moment, car mon rêve comportait aussi un bruit de moteur. Couché sur le dos, il me suffisait d'ouvrir les yeux pour le voir. C'était un piper-club, un « mouchard ». Il tourna plusieurs fois au-dessus de nous, puis partit en direction du soleil et se remit à tourner.
Je regardai ma montre : il était cinq heures et demie. J'avais dormi un peu plus de trois heures. Pour voir ce que faisait mon compagnon sous son buisson, je me dégageai à demi du mien.
Je ne le vis pas, mais le buisson était large et touffu. Je sifflai doucement pour l'appeler. Pas de réponse. Je pensai : « Il est parti sans me prévenir. » Je lançai des petits cailloux dans le buisson. Les branches remuèrent et l'Algérien sortit enfin sa tête. Il semblait effrayé. De la main, il me fit signe de retourner sous mon abri et me montra le ciel de l'index. En rampant, je me glissai de nouveau dans ma cachette.
Je regardai ma montre : il était cinq heures et demie. J'avais dormi un peu plus de trois heures. Pour voir ce que faisait mon compagnon sous son buisson, je me dégageai à demi du mien.
Je ne le vis pas, mais le buisson était large et touffu. Je sifflai doucement pour l'appeler. Pas de réponse. Je pensai : « Il est parti sans me prévenir. » Je lançai des petits cailloux dans le buisson. Les branches remuèrent et l'Algérien sortit enfin sa tête. Il semblait effrayé. De la main, il me fit signe de retourner sous mon abri et me montra le ciel de l'index. En rampant, je me glissai de nouveau dans ma cachette.
Je lui en voulais, pas d'avoir peur, mais de ne pas me rejoindre. J'avais envie de parler ou du moins de sentir quelqu'un près de moi. pour la première fois, je me sentais seul, terriblement. L'enthousiasme qui m'habitait la veille s'était envolé.
L'avion revint nous survoler et repartit presque aussitôt. Mais d'autres le suivirent, ainsi que deux hélicoptères. Même quand je ne les voyais pas, je les entendais. Ils ne s'écartaient jamais beaucoup du coin où nous nous trouvions.
Le soleil avait atteint le fond du ravin et, bien qu'il fût encore très tôt, il faisait déjà chaud. Avec le soleil, les mouches avaient fait leur apparition. Les branches épineuses du buisson ne donnait que très peu d'ombre. Mais il fallait choisir : rester couvert et transpirer abondamment ou se découvrir pour avoir moins chaud et être piqué par les insectes ; leur bourdonnement incessant finissait par m'agacer plus encore que leurs piqûres.
N'ayant rien d'autre à faire, j'essayai de m'endormir. Mais je ne pus y parvenir : la chaleur, les mouches, les avions et les soldaits qui risquaient de nous surprendre à chaque instant, tout cela me tenait éveillé.
Pour la première fois depuis les événements de la dernière nuit j'avais le temps de réfléchir aux conséquences de mes actions.
J'avais déserté, libéré un prisonnier de guerre et emporté des armes... »
C'est ainsi que commence ce témoignage sidérant d'un français, Noël Favrelière, né en 1934, un parachutiste de 22 ans rappelé au service en Algérie, et qui, révolté par les exactions et leurs meurtres dont il était le témoin, décide un beau jour de ne plus écouter la rengaine du renoncement : « Tu as tort de penser avec ton cœur, Noël. Dis-toi que déserter équivaut à un suicide. »
Commence alors un flash-back, sur le jeune Noël Favrelière à Paris qui reçoit la visite de ses parents : ils lui annoncent qu'il est rappelé*. Le temps de faire ses adieux à ses amis, puis, à sa famille à La Rochelle et d'écouter une chanson de Louis Armstrong : « Le samedi matin qui suivit mon arrivée, un gendarme vint apporter mon ordre de rappel. Il y était écrit que le sergent parachutiste Noël Favrelière devait rejoindre Mont-de-Marsan. »
Mais l'homme qui est rappelé est un militaire aguerri, et il a déjà fait son service en Algérie : « J'avais aussi connu des colons. J'en distinguai deux sortes : les gros, qui ignoraient l'indigène, et les autres, les petits, qui étaient racistes et tenaient d'autant plus à leur racisme que c'était leur seul luxe. » Qui plus est, il sait se défendre des accusations de pacifisme (faute grave) dont ne manquent pas de l'accuser certains officiers. Le proverbe espagnol dit qu'on ne torée pas deux fois le même taureau, et notre homme en donne l'exemple. Libéré à la veille de la révolution, en 1954, il y retourne en personne forte de ses convictions et de ses refus : « Tous ces souvenirs de mes deux années passées en Algérie fortifiaient mes convictions et mon appréhension... Je craignais aussi, stupidement, que l'on ne prenne mon refus pour de la peur. »
L'homme hésite : militaire aguerri, il milite aussi, entre militaires pour l'indépendance et se fait traiter d'objecteur de conscience par un officier (page 24), alors qu'il est encore à l'entraînement en France. Il lit les Lettres françaises, journal engagé d'obédience communiste, sans avoir pour autant de carte de militant.
Il décrit également les tensions qui agitent en profondeur les militaires eux-mêmes : l'insoumission est une idée de militaires, entre militaires :
« Le soir qui avait précédé mon départ de Pau, nous avions fait libérer un rappelé qui avait été emprisonné pour avoir refusé de saluer un lieutenant. Ce rappelé devait être renvoyé chez lui le lendemain pour des raisons de santé, et il pensait déjà être déchargé de toute obligation militaire. Pour le sortir de prison, nous étions plus d'une centaine. Il y eut quelques dégâts, mais seulement matériels : portes abîmées, vitres cassées. Le colonel voulut bien, sinon fermer les yeux, du moins ne pas prendre de sanctions. Mais quelques jours plus tard, pour une sanction analogue, dix rappelés furent désignés comme meneurs... [ et on les] emmena dans une prison militaire après les avoir copieusement tabassés. »
Il a connu la guerre, tout petit, il se souvient avoir vu un allemand mourir sous les balles de maquisards, et son cadavre dans une flaque de sang ne l'a pas enthousiasmé.
Pour avoir déserté le 29 août 1956, il a été condamné à mort par contumace.
Le Désert à l'aube, son témoignage du refus de la répression, est paru aux éditions de Minuit en 1960 et a été censuré la semaine suivante.
C'est assez rare d'avoir un livre censuré entre les mains. Par quel miracle est-il arrivé sur la brocante des boulevards ? Je ne le saurai jamais. Peut-être quelqu'un avec des idées pacifistes qui s'est dépêché de l'acheter et de le dissimuler ? Il n'est pas très abîmé, ce qui laisse à penser qu'il n'a pas beaucoup circulé.
Sur Wikipedia, il est indiqué que le livre est reparu en 1974 sous le titre, plus romantique, déjà, moins âpre : « Le déserteur » et qu'il servit de base au scénario du célèbre film de René Vautier : « Avoir vingt ans dans les Aurès » (1972). Il a été réédité en 2000.
--Il décrit également les tensions qui agitent en profondeur les militaires eux-mêmes : l'insoumission est une idée de militaires, entre militaires :
« Le soir qui avait précédé mon départ de Pau, nous avions fait libérer un rappelé qui avait été emprisonné pour avoir refusé de saluer un lieutenant. Ce rappelé devait être renvoyé chez lui le lendemain pour des raisons de santé, et il pensait déjà être déchargé de toute obligation militaire. Pour le sortir de prison, nous étions plus d'une centaine. Il y eut quelques dégâts, mais seulement matériels : portes abîmées, vitres cassées. Le colonel voulut bien, sinon fermer les yeux, du moins ne pas prendre de sanctions. Mais quelques jours plus tard, pour une sanction analogue, dix rappelés furent désignés comme meneurs... [ et on les] emmena dans une prison militaire après les avoir copieusement tabassés. »
Il a connu la guerre, tout petit, il se souvient avoir vu un allemand mourir sous les balles de maquisards, et son cadavre dans une flaque de sang ne l'a pas enthousiasmé.
Pour avoir déserté le 29 août 1956, il a été condamné à mort par contumace.
Le Désert à l'aube, son témoignage du refus de la répression, est paru aux éditions de Minuit en 1960 et a été censuré la semaine suivante.
C'est assez rare d'avoir un livre censuré entre les mains. Par quel miracle est-il arrivé sur la brocante des boulevards ? Je ne le saurai jamais. Peut-être quelqu'un avec des idées pacifistes qui s'est dépêché de l'acheter et de le dissimuler ? Il n'est pas très abîmé, ce qui laisse à penser qu'il n'a pas beaucoup circulé.
Sur Wikipedia, il est indiqué que le livre est reparu en 1974 sous le titre, plus romantique, déjà, moins âpre : « Le déserteur » et qu'il servit de base au scénario du célèbre film de René Vautier : « Avoir vingt ans dans les Aurès » (1972). Il a été réédité en 2000.
* Appelé : était « appelé » un homme apte à remplir ses obligations militaires. Le Service durait, si mes souvenirs sont bons, entre 24 et 36 mois. Après le service, l'appelé était « démobilisé », mais, comme ce fut le cas pendant la guerre d'Algérie, nombreux furent ceux qui furent « rappelés » et qui connurent plusieurs théâtres des guerres de la décolonisation (et pour certains, la seconde guerre mondiale) : être rappelé en Algérie, c'était retourner à la guerre, mais beaucoup renâclèrent, certains avaient vécu Điện Biên Phủ, ou d'autres massacres, ils savaient vers quoi on les envoyait. En Algérie, nombreux furent ceux qui se révoltèrent à l'idée, qu'après avoir combattu ardemment l'horreur du nazisme, on les contraigne à devenir eux-mêmes des tortionnaires.
1 commentaire:
Merci Noêl ,
En grande malvoyance, j'ai eu l'émotion de lire :" le désert à l'aube " à l'aide d'une loupe ...cet ouvrage d'un altruisme poignant a beaucoup ému l'ex chef de groupe puis chef de section opérationnel appelé en Algérie en 58-59 que je suis .
Respect !
Enregistrer un commentaire