PRROU
Colette, 1913
Quand je l'ai connue, elle gîtait dans un
vieux jardin noir, oublié entre deux bâtisses neuves, étroit et long comme un
tiroir. Elle ne sortait que la nuit, par peur des chiens et des hommes, et elle
fouillait les poubelles. Quand il pleuvait, elle se glissait derrière la grille
d'une cave, contre les vitres poudreuses du soupirail, mais la pluie gagnait
tout de suite son refuge et elle serrait patiemment sous elle ses maigres
pattes de chatte errante, fines et dures comme celles d'un lièvre.
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Elle restait là de longues heures, levant de
temps en temps les yeux vers le ciel, ou vers mon rideau soulevé. Elle n'avait
pas l'air lamentable, ni effaré, car sa misère n'était pas un accident. Elle
connaissait ma figure, mais elle ne mendiait pas, et je ne pouvais lire dans
son regard que l'ennui d'avoir faim, d'avoir froid, d'être mouillée, l'attente
résignée du soleil qui endort et guérit passagèrement les bêtes abandonnées.
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Trois ou quatre fois, je pénétrai dans le
vieux jardin, en râpant ma jupe entre les planches de la palissade. La chatte
ne fuyait pas à mon approche, mais elle se dérobait comme une anguille, à la
seconde juste où j'allais la toucher. Après mon départ, elle attendait
héroïquement que la brise du vieux jardin eût emporté mon odeur et l'écho de
mes pas ; puis elle mangeait la viande laissée près du soupirail, en ne
trahissant sa hâte que par un mouvement avide du cou et le tremblement de son
échine.
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Elle ne cédait pas tout de suite au sommeil
des bêtes repues, elle essayait, avant, un bout de toilette, un lissage de sa
robe grise à raies noires, une pauvre robe terne et bourrue, car les chats qui
ne mangent pas ne se lavent pas faute de salive...
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Février vint...
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