À l'école communale, la question ne se posait pas. L'instituteur nous désignait une place, un point c'est tout. Une fois en CE2, j'y avais été, mais ça ne m'avait pas plu, tous ces regards dans mon dos...
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En sixième, j'ai fait du zêle, j'ai donc fréquenté le premier rang, celui du côté de la porte, quand même. Quand je me tournais vers le prof pour lever la main, je n'avais que la porte dans mon dos. Mais les choses se sont vite gâtées. Je suppose que le statut de premier de classe n'y jouait pas pour des queues de cerise. À chaque carnet de notes, les parents demandaient :
— Et le premier, il a combien ?
Parents, je vous hais, mais je ne l'ai compris que plus tard. Là, j'avais juste des «amis» qui me haïssaient et je ne savais pas pourquoi.
Un jour, le prof de français m'a envoyé au tableau, qu'il fallait nettoyer. J'ai mouillé l'éponge et effacé le tableau. C'est très long, d'effacer un tableau, un temps mort qu'il faut meubler. Le prof aimait plaisanter, il a risqué une moquerie, c'était quelqu'un de vif, mais aimable, il avait du piquant et une tendresse discrète. Et tout d'un coup, les moqueries ont fusé, les agressions gratuites, puis le vilain surnom dont m'avait affublé une fille agressive.
J'ai courbé les épaules, et continué à passer l'éponge. Quand le prof a parlé, il a dit qu'on ne parlait pas de quelqu'un comme ça et il y a eu un silence. Je n'étais pas le meilleur en français, c'était la matière où j'avais le plus envie de m'exploser, mais j'avais commencé avec un hors-sujet, 05/20, asséné avec justesse et justice par ce même prof que ma rédaction avait amusé : il m'avait expliqué que traduire une rêverie devant le feu par des bains de rivière était une erreur. Aujourd'hui, j'en ris avec lui, ce n'était qu'un lapsus, mais j'évite les histoires avec du feu désormais.
Après qu'il eut parlé, j'ai fini de passer l'éponge sur le tableau, et puis j'ai fait ce pour quoi j'avais été envoyé au tableau, je ne me souviens plus quoi. Mais en français, j'ai eu désormais la paix.
Bon, c'était un prof qui m'aimait bien. Je n'avais pas des notes terribles, mais il aimait bien mon imagination, je renouvelais beaucoup mes sujets et mes histoires, et ça, je devais être un des seuls à le faire et ça l'amusait, ces histoires qui ne collaient pas vraiment à la commande mais qui avaient un petit côté fantaisie, libre, il me l'a confié un jour pendant une séance T.D., en tête à tête, et j'en avais été surpris, mais comme c'était toujours bancal d'un côté ou de l'autre, je restais modeste et mes notes aussi.
Après l'épisode du tableau, c'est devenu définitif, je me suis incrusté au dernier rang de la classe, près du radiateur. Quand vous levez le doigt, il n'y a personne pour faire une remarque assassine dans votre dos, et là, les agressions, quand les gens sont obligés de se retourner pour vous les balancer, c'est plus difficile... Pour me moquer de quelqu'un, moi, je pouvais le faire les yeux dans les yeux.
Je crois qu'en littérature, c'est un peu pareil, j'occupe le dernier rang de la classe, je bataille pour obtenir un strapontin dans un salon, je regarde les gens au premier rang, les invités, parfois avec un peu d'envie, « Qu'est-ce que ça fait ? » . Il y a deux ans, quand un de mes livres est sorti, je me suis pris des injures en rafale, dans le dos, et je n'aime toujours pas ça, ces êtres supérieurs qui attendent que vous tourniez le dos pour exposer leur mesquinerie ou leur haine du genre humain sur un réseau social. Et quand vous intervenez pour leur dire qu'il font des choses pas très morales, ces grands moralistes, ils vous détestent...
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En réalité, je m'en fous : aucune envie d'y aller, à ce foutu premier rang, allez savoir pourquoi, j'ai le dos encore fragile...
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