Je suis le seul être ici-bas dont ne s'enquiert
Nulle langue, pour qui nul œil n'aurait de pleurs ;
Jamais je n'ai fait naître une triste pensée,
Un sourire de joie depuis que je suis née.
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En de secrets plaisirs, en de secrètes larmes,
Cette changeante vie s'est écoulée furtive,
Autant privée d'amis après dix-huit années,
Oui, solitaire autant qu'au jour de ma naissance.
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Il fut jadis un temps que je ne puis cacher,
Il fut jadis un temps où c'était chose amère,
Où mon âme en détresse oubliait sa fierté
Dans son ardent désir d'être aimée en ce monde.
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Cela, c'était encore aux premières lueurs
De sentiments depuis par le souci domptés ;
Comme il y a longtemps qu'ils sont morts ! À cette heure,
À peine je puis croire qu'ils ont existé.
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D'abord fondit l'espoir de la jeunesse, puis
De l'imagination s'évanouit l'arc-en-ciel,
Enfin m'apprit l'expérience que jamais
La vérité n'a crû dans le cœur d'un mortel.
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Ce fut cruel, déjà, de penser que les hommes
Étaient tous creux et serviles et insincères,
Mais pire, ayant confiance dans mon propre cœur,
D'y déceler la même corruption à l'œuvre.
17 mai 1837
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Difficile de présenter Emily Brontë, cadette des sœurs Brontë, morte à trente ans, en laissant une œuvre fulgurante, Les Hauts de Hurlevent et des poèmes beaucoup moins connus comme celui-ci où la cruauté répand sa corruption jusqu'à la narratrice, atroce découverte que notre cœur n'est pas meilleur que ceux que l'on déteste, même pour un être peu favorisé... Bref destin : 1818-1848 qui suivit de peu son frère dans le froid...
Rajoutons un quatrain :
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BOIS, POURQUOI ME FAIRE GRISE MINE ?
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Bois, pourquoi me faire grise mine ?
Spectre branchus qui, dolemment,
Branlez du chef dans le ciel morte,
Pourquoi me railler méchamment ?
Décembre 1836
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