J'extrais ce passage d'une sorte de polar, écrit par Ray Bradbury, mettant aux prises le héros, un écrivain, et un policier... un peu trop cultivé. Justement... tous dérapent, chaque personnage tient tant à sa personne, que personne ne se conforme au costume qu'il est censé enfiler jusqu'à la caricature. Au contraire, l'humain déborde de partout et les rôles bougent, une vision libre de l'homme et avec humour en plus. Mais de quoi parle-t-on ? D'une enquête sur un meurtre ou de l'écriture ? C'est le flic, Crumley, qui commence :
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— Vous savez à quoi vous me faites penser, fils ? À cette bande d'abrutis qui se traînaient derrière Alexander Pope en brandissant leurs poèmes, leurs romans, leurs essais et en demandant des conseils jusqu'à ce que Pope se mette en rogne et rédige son Essai sur la critique.
— Vous connaissez Alexander Pope ?
Crumley poussa un soupir blessé, jeta sa cigarette par terre et l'écrasa du pied. [...]
— ... Ouais Pope, nom de Dieu ! Je le lisais sous les draps, tard dans la nuit pour pas que les copains me prennent pour un pédé.
— Je voulais dire...
— Je sais ce que vous voulez dire, fit Crumley patiemment. Vous êtes tombé sur un truc intéressant, du moins c'est ce que vous croyez. Et ça vous met dans tous vos états. Vous mourez d'envie de remonter dans ce gros tram rouge et de refaire le trajet un de ces soirs pour attraper cet ivrogne et le ramener par la peau des fesses [...] Alors, tout de suite, vous avez les ongles pleins de sang à force de taper sur votre machine à écrire et le truc sort bien comme dit Hemingway, et votre intuition développe ses longues antennes toujours aussi sensibles. Ajoutez à ça du jarret de porc, et ça ne me fera toujours pas une choucroute.
Il commença à s'éloigner en contournant le capot de sa voiture, répétition du désastre de la veille.
— Oh que non! hurlai-je. Vous n'allez pas recommencer ! Vous savez ce que vous êtes ? Vous êtes jaloux !
La tête de Crumley faillit lui tomber des épaules :
— Je suis quoi ?
Je vis presque ses doigts se tendre vers un revolver qui n'était pas là.
— Et, et, et..., je pataugeai. Vous,... Vous n'y arriverez jamais !
Mon insolence l'ébranla. Il tourna la tête pour me regarder par-dessus le toit de la voiture.
— Arriver à quoi ?
— Quoi que vous cherchiez à faire, vous... n'y... arriverez... pas.
[... ]
— À moins que vous n'appreniez... dis-je sans conviction, et en sentant une couleur vive me monter aux joues, à... euh... écouter vos tripes et pas votre tête.
— Le Conseil philosophique de Norman Rockwell à l'Intention des Limiers égarés.
[ et là, le romancier a capté le policier et trouvé sa faille ] :
— Simplement, dis-je avec lenteur, j'ai appris il y a des années que, plus je réfléchissais, plus mon travail était mauvais. Tout le monde croit qu'on doit se balader en pensant tout le temps. non, moi je me balade en sentant les choses et je les couche par écrit et, à la fin de la journée, j'y réfléchis. La réflexion vient ensuite »
C'est presque une définition de l'écrivain.
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La Solitude est un cercueil de verre est un grand roman, qui parle plutôt de la solitude, mais pas comme d'une plaie, ou d'une douleur, juste comme une condition du quotidien, la solitude d'être ce que l'on est et de ne pouvoir le partager avec personne parce qu'on est ce que l'on est et pas autrement. Pas de souffrance, pas de plainte, juste marcher, aller de l'avant et savoir que si vous vous intéressez aux autres, la réciproque ne l'est pas, et que c'est une excellente occasion pour regarder, observer et raconter les gens. Et de décrire une galerie de solitaires et de solitudes toutes plus différentes les unes que les autres, et aucune n'est réellement malheureuse, parfois douloureuse, mais pas de malheur, sauf pour un... Le meurtrier !
Sourire plein d'ironie de l'immense Ray Bradbury. Alors, vous savez ce qui vous reste à faire ?
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