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dimanche 1 avril 2018

À l'aube (Robert WALSER)

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À l'instant même précédant le réveil, je fis un rêve d'une étrange beauté dont une demi-heure plus tard, je ne savais rien de plus. M'étant levé, il me revint alors à la conscience que j'avais vu une femme très belle et débordant d'un juvénile élan, je l'adulais. Je me sentais merveilleusement d'aplomb et exalté par la jeunesse rayonnante de mon beau rêve.
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Je me vêtis prestement. Il faisait encore sombre. Un souffle d'air hivernal m'effleura par la fenêtre ouverte. Les couleurs étaient si sévères, si rigoureuses. Un vert froid et noble luttait avec un bleu naissant ; le ciel était rempli de nuages rose vif. La journée en éveil, qui portait encore en collier la lune comme un bijou d'argent, me parut divinement belle.
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Ému, joyeux et enivré par la beauté du rêve et par la grâce du jour, je me hâtai de sortir, à l'air, dans la rue. Saisi par une volonté et une espérance de jeune homme, j'avais acquis une confiance en moi tout à la fois douce et sans limites. Je ne voulais, ne voulais vraiment plus penser à rien, n'aspirais plus à explorer ce qui me rendait si serein. Je gambadais à travers la montagne et j'étais heureux. Comme on est fort lorsqu'on se sent tranquille, comme on est heureux de cette confiance toute neuve et comme on est bon lorsque la tête et le cœur fourmillent de nouvelles espérances.
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Né en Suisse en 1878, Robert Walser est l'auteur des  Enfants Tanner, du Commis et de L'Institut Benjamenta. Salué de son vivant par les plus grands écrivains de l'époque — Max Brod, Kafka, Hesse et Musil —, il meurt le jour de Noël 1956, au cours d'une promenade dans la neige jusqu'à épuisement.
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En réalité, ce texte est d'un seul tenant, mais la lecture moderne s'accommode mal d'une prose trop dense, aussi me suis-je permis d'y glisser deux sauts de paragraphe, ce qui fera hurler un puriste...
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Une amie m'a fait l'honneur de m'offrir à Noël ce recueil de chroniques, j'ai sélectionné un des plus doux, mais derrière la fausse transparence percent l'angoisse, et cette nécessité : être serein dans la difficulté, regarder autour de soi comme si aucun souci ne rendait la vie bien sombre et se comporter en tout, avec la fraîcheur de l'adolescent, à l'écoute de nos yeux, oreilles, du vent sur notre peau et malgré des perspectives bien sombre, respirer la confiance...

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