Lisait-on dans votre entourage dans votre jeunesse ?
Oui, mes parents lisaient, je crois qu’on dirait aujourd’hui qu’ils appartenaient à un milieu intellectuel de province. Pour l’anecdote, ils s’étaient rencontrés pour la première fois au cinéma en allant y voir « les Jeux sont faits », un film de Jean-Paul Sartre. Le grand plaisir, quand nous étions en vacances, c’était les passages quasi quotidiens par la librairie des sœurs Hans, à Merlimont Plage, nous revenions chargés de livres.
Avez-vous des premiers souvenirs de lecture ?
Oui bien sûr, j’ai des premiers souvenirs de lecture : toute la collection des livres pour enfants des Deux Coqs d’or, et des livres aussi que ma mère avait spécialement écrits et illustrés pour moi et que j’ai toujours. Plus tard, les bibliothèques rose, verte, les livres de Jules Verne et cette superbe encyclopédie Quillet en 6 volumes, illustrée de planches en couleur qui m’a accompagné jusqu’à l’université et avec laquelle j’ai passé des heures de découvertes et de joie. Il y a aussi, quand j’étais au collège, avec mon ami Daniel, ces moments : dès que nous sortions de l’établissement, le soir, nous filions à la bibliothèque municipale de Valenciennes où nous avons passé des heures à découvrir des ouvrages anciens. Je me souviens d’avoir recopié à la main « un drame en Livonie », de Jules Verne, car il était alors introuvable et que les photocopieuses n’existaient pas encore.
Quels livres vous tiennent plus particulièrement à cœur ?
Le premier, celui qui a marqué le début de quelque chose
Le premier, c’est peut-être bien l’album Coke en stock, d’Hergé, mon premier Tintin. Je les ai tous lus par la suite et même plusieurs fois et d’une certaine manière j’ai passé ma vie à vouloir devenir Tintin
Sans doute le même : Les aventures de Tintin, mais aussi L’histoire de France racontée à Juliette, par Jean Duché, d’où est sans doute née ma passion pour l’histoire.
Le livre que vous adorez sans avoir jamais osé le dire
Puisqu’il faut une réponse : Les mémoires d’Outre-Tombe, de François René de Chateaubriand, dont j’ai terminé la lecture à vingt ans, au pied d’un volcan d’Islande… J’aurais trop peur de me la jouer, en le disant. Ah zut ! je l’ai dit !
Celui qu'on aime trouver lors d'un réveil nocturne ?
C’est plutôt celui qui m’a empêché de dormir car je n’ai pu me résoudre à arrêter ma lecture vespérale. Dans un tel cas, il m’arrive de m’éveiller, de me relever et d’aller m’installer dans le canapé du salon pour terminer parfois jusqu’aux petites heures de l’aube. Sinon Simenon serait une bonne réponse, et une ou deux anthologies de poèmes aussi.
Vous souvenez-vous de votre apprentissage de l'écriture ?
Si je me souviens de mon apprentissage de l’écriture ? Oui, c’était à la maison sur la table du salon. Ma mère qui avait été mon institutrice en maternelle, avait tenu à m’apprendre elle-même à lire à écrire à cinq ans, reproduisant en cela, ce qu’avait fait son père, mon grand-père ébéniste et peintre du dimanche, avec ses deux filles. Très vite j’ai eu non pas l’envie mais l’évidence d’écrire. Un ami de mes parents, guide de chasse dans le Haut-Oubangui, en Afrique, m’avait raconté les histoires les plus invraisemblables sur la chasse aux éléphants. Ce fut mon premier livre, texte et dessins. J’avais cinq ans et demi.
Les premières œuvres de science-fiction qui vous ont marqué ?
Vous souvenez-vous de votre première nouvelle ?
Ma première nouvelle ? Vous voulez dire que j’ai écrite ou que j’ai lue ? Que j’ai lue, c’était les nouvelles du grand possible chez Marabout ; que j’ai écrit : une histoire de double psychique. J’avais 17 ans, je crois, je rédigeait une revue entre copains pour le lycée, nous devions tirer à au moins quatre exemplaires, et j’y plaçais des nouvelles.
Existe-t-il des moments privilégiés pour l'écriture ?
Des moments et des lieux privilégiés, oui, mais jamais les mêmes. Parfois c’est la nuit parfois tôt le matin ça peut être dans un grand silence ou bien dans un café au milieu du bruit des consommateurs. Et même dans une boite de nuit, une fois, en Russie. En fait, c’est quand j’en ai le besoin ou l’envie.
À partir de quand savez-vous si votre texte sera une nouvelle, une novella, un roman ? Un texte peut-il changer de statut ?
En général, assez vite, après les premières pages. Mais oui, un texte peut changer de statut. D’une nouvelle je peux faire une pièce de théâtre ou l’inverse, je peux démembrer un roman pour sortir des nouvelles, ou décider de relier entr’elles des nouvelles pour sortir un roman. Je ne jette rien, je conserve tout. Peut-être à tort !
Avez-vous un ou des lecteurs privilégiés, ceux dont l'avis importe ?
Un ou des lecteurs privilégiés ? Oui et non tous les lecteurs comptent, mais j’ai au moins un lecteur, un ami qui a lu un de mes textes – qui n’est pas de la science-fiction – et cette lecture l’a marqué pour la vie. Il l’a relu des dizaines de fois, je crois. Un jour, j’ai voulu reprendre mon texte et en changer la fin : il est entré dans une fureur noire.
Pour une nouvelle, y a-t-il un déclencheur d'une nouvelle ? Souvenir ? Objet ? Rencontre ?
Le déclencheur pour une nouvelle ? parfois oui parfois non. Il m’arrive de m’asseoir dans un café, ou en pleine rue et d’écrire ce qui se passe autour de moi, et ensuite, le reste vient ! Il y a une quarantaine d’années, je publiais chaque semaine une courte nouvelle dans la presse locale. Je devais déposer mon texte sur le marbre de l’imprimerie à 11 h au plus tard, le mercredi. Eh bien presque toujours, je prenais le stylo en main à 10 h, et 55 mn plus tard, j’enfourchais mon vélo, et je déposais la nouvelle même pas relue !
Un jour, je me suis arrêté pour m’asseoir sur une borne en béton rue Mouffetard, et je me suis mis à écrire au dos du ticket de caisse de la poissonerie où j’avais trouvé une inspiration. J’ai même commencé, un autre jour, un roman sur des tickets de métro ! et puis le reste suit, j’ai l’impression en fait de découvrir ce que j’écris comme si c’était l’écriture d’un autre, j’attends la suite et quelquefois je m’endors en me demandant bien ce que je pourrai raconter après, et le matin il me suffit de reprendre la page et la suite vient. Je fais rarement des plans, mais ça m’arrive aussi, parfois.
Pour reprendre la nouvelle qui donne son titre au recueil, Le Joueur du Louvre, vous souvenez-vous de la façon dont vous l'avez conçue ? Y a-t-il un élément qui a guidé l'écriture : le musée ? Le jeu de semailles ? Ou une réflexion sur la naissance des jeux ?
Pour le joueur du Louvre, oui je peux répondre et je vais même répondre à vos deux questions en même temps. Un jour donc je visitais les salles d’archéologie du musée du Louvre, et je suis entré dans la salle consacrée à Sumer. J’ai vu ce vase à 12 godets, qui portait une étiquette en faisant un objet votif, religieux. Pour moi, qui suis passionné par les jeux, et par ce qu’ils traduisent des peuples qui les ont conçus, ce n’était pas ça du tout : il était bien évident que j’avais devant moi un jeu d’Awélé, ce jeu de semailles africain proche d’une famille de Jeux qu’on retrouve au Vietnam et en Asie du Sud-Est. Leur origine est inconnue, et voilà que j’avais le sentiment de découvrir les sources du Nil. C’était là, à mi-chemin de l’Afrique et de l’Asie, que se trouvait le début. Longtemps, j’ai eu envie d’en faire un article, une communication scientifique. Mais bon, il faut bien le dire, ce n’est pas mon truc. Alors j’ai eu l’idée d’en faire une nouvelle. Un ami avait projeté de réunir une anthologie sur Paris, et j’ai écrit cette nouvelle. Après, cet ami aurait voulu que je la fasse évoluer vers beaucoup plus de fantastique. Cela aurait dénaturé ce que je voulais en faire. J’ai donc préféré me retirer de l’anthologie.
L'œil de plastique est une nouvelle qui m'a fait penser à une nouvelle de Mike Resnick, comme un hommage. En tant que grand connaisseur de cette littérature, pouvez-vous citer quelques auteurs spécifiques à ce type de textes courts ? Étrangers ? Français ?
Resnick, oui, Dick aussi, bien sûr, et tant d’autres, sans oublier tous ceux que je publie ou non, à commencer par mon cher et regretté Bruno Pochesci.
La nouvelle Digicodes me rappelle le plaisir qu'on a à arpenter les rues de Paris, est-elle née d'une flanerie ?
Plus que cela ! Pendant deux ans, j’ai été chargé de porter la bonne parole de la révolution numérique dans les collèges de la Ville de Paris. J’en ai profité pour parcourir toutes les rues, toutes les places, les impasses, les ruelles… Ce fut fatigant, mais passionnant ! J’en garde d’ailleurs une passion pour les rues de Paris.
Y a-t-il une – autre – nouvelle du recueil Joueur du Louvre à propos de laquelle vous auriez envie de dire un mot ?
A. M. E., peut-être, que j’ai joué sur scène en représentation, et dont le thème me semble paradoxalement plein d’espérance !